août 2019
Rebecca Joly (Office fédéral de la justice)
Suite à la votation populaire du 11 mars 2012 et l’acceptation d’un nouvel art. 106 Cst. féd. sur les jeux d’argent, la Confédération a été chargée de rédiger un projet de révision totale de la législation sur les jeux d’argent. La nouvelle loi réunit ainsi les domaines des jeux de casino ainsi que les loteries et paris sportifs. Elle a été adoptée par le Parlement en septembre 2017. Une demande de référendum a abouti et la loi a été acceptée par le peuple à 73,1% des voix le 10 juin 2018. Le paquet législatif est entré en vigueur le 1er janvier 2019. De manière générale, la nouvelle loi a repris les règles actuellement en vigueur et codifié les pratiques des acteurs (Message p. 7646). Il n’y a donc pas de grands changements dans le paradigme des jeux d’argent. Toutefois, des améliorations ponctuelles, notamment dans le cadre de la protection contre le jeu excessif, sont à souligner.
Comme par le passé, les acteurs principaux de la lutte contre le jeu excessif sont d’abord les exploitants eux-mêmes qui doivent prendre des mesures de protection des joueurs. Dans ce cadre, le rôle des autorités de surveillance est notamment de contrôler la mise en place des mesures chez les maisons de jeu et les exploitants de jeu de grande envergure ainsi que l’efficacité de ces mesures. Enfin, les cantons ont également un rôle important et doivent mettre en place des possibilités de conseil et de traitement pour les personnes dépendantes au jeu ou exposées à un risque de dépendance ainsi qu’à leur proche (art. 85 LJAr).
Les institutions de protection contre le jeu excessif et les spécialistes des questions de dépendances peuvent être sollicités par les maisons de jeu et les exploitants de jeu de grande envergure afin de contribuer au programme de mesures sociales (art. 76 al. 2 LJAr). Un spécialiste des questions d’addiction doit obligatoirement être associé à la procédure de levée d’exclusion d’un joueur. Les modalités sont fixées dans le programme de mesures sociales.
Le programme de mesures sociales est, comme auparavant, l’instrument central de la protection des joueurs. C’est une condition de la concession pour les maisons de jeu (art. 8 al. 1 let. a ch. 2 LJAr) et de l’autorisation d’exploitant pour les jeux de grande envergure (art. 22 let. h LJAr), ce qui est une nouveauté au niveau de la loi fédérale. Le contenu du programme de mesures sociales est resté sensiblement le même. Il devra notamment détailler les mesures prises en vue du repérage précoce des joueurs à risques. Toutefois, l’ordonnance sur les jeux d’argent précise aujourd’hui certains aspects du programme, notamment en exigeant un plan de gestion des conflits d’intérêts pour les personnes chargées de mettre en place les mesures du programme (art. 81 al. 1 let. b OJAr). De plus, le programme devra décrire la collaboration avec les prestataires choisis en vertu de l’art. 76 al. 2 LJAr.
Les maisons de jeu et les exploitants de jeux de grande envergure doivent également veiller à l’insertion de leurs mesures dans le tissu cantonal et local. L’art. 83 OJAr fait ainsi un lien entre les mesures des cantons prises en vertu de l’art. 85 LJAr et les opérateurs du marché des jeux d’argent.
La mesure principale pour protéger les joueurs qui ont un comportement problématique est l’exclusion. Avec la nouvelle loi, les exclusions qui seront prononcées par un opérateur seront valables pour les maisons de jeu de toute la Suisse, mais également pour les jeux en ligne, que ce soit les jeux de casino ou les jeux de grande envergure en ligne (art. 80 al. 1 LJAr). De plus, l’autorité intercantonale peut décider d’étendre les exclusions à d’autres jeux de grande envergure en fonction de leur dangerosité (art. 80 al. 3 LJAr). Cela est valable pour tous les types d’exclusion, y compris les exclusions volontaires. Le registre des exclusions peut ainsi être exploité en commun par les opérateurs des jeux de casino ou des jeux de grande envergure. Ils doivent en tous les cas se communiquer mutuellement les données. Les critères pour l’exclusion sont également mieux définis et une personne dépendante au jeu doit être exclue, notamment si la maison de jeu ou l’exploitant de jeux de grande envergure est averti par un service spécialisé ou des autorités des œuvres sociales qu’une personne est dépendante.
La levée de l’exclusion a lieu sur demande de la personne concernée, si les conditions qui ont mené à prononcer cette mesure n’existent plus, mais avec la collaboration d’un spécialiste ou d’un service spécialisé reconnu par le canton (art. 81 al. 3 LJAr).
La protection des joueurs doit être adaptée au canal qui est utilisé. Ainsi, l’ordonnance prévoit des règles spéciales supplémentaires pour les jeux d’argent sur internet.
D’abord, pour pouvoir accéder aux plateformes de jeu en ligne, les joueurs devront ouvrir un compte de joueur (art. 47 OJAr). L’exploitant de la plateforme devra alors vérifier que la personne n’est pas mineure ou interdite de jeu. Puis, dès l’ouverture du compte, le joueur doit pouvoir accéder à des informations précises sur son comportement de jeu, notamment les mises engagées, les gains obtenus et le résultat net de son activité de jeu sur une période déterminée (art. 87 al. 1 OJAr).
De plus, un joueur doit pouvoir en tout temps sortir temporairement de l’offre de jeu en ligne pour une durée qu’il décide. Cette période de sortie temporaire n’est pas une exclusion de jeu au sens des art. 80 ss LJAr, mais une mesure plus souple, décidée par le joueur seul. Cette sortie peut aller jusqu’à six mois. Le joueur ne peut alors réduire lui-même la période de sortie. Un établissement peut lever la sortie temporaire pour autant que les conditions d’une exclusion ne soient pas réunies, ce qu’il doit vérifier. Cet outil sera important dans le cadre du repérage précoce.
Le repérage précoce est un élément essentiel du dispositif de programme de mesures sociales. Les mesures prises dans ce cadre dépendront de l’analyse que feront les autorités de surveillance de la dangerosité du jeu et de son canal de distribution. Pour les jeux sur internet, des mesures d’observation pourront en principe être mises en place de manière plus efficace puisque chaque joueur aura un compte sur lequel tous ses comportements de jeu pourront être observés à plusieurs échelles temporelles.
En plus de la sortie temporaire, chaque joueur devra fixer des limites de jeu au moment où il ouvre son compte de joueur (art. 87 al. 2 ss OJAr). Ces limites peuvent être exprimées quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement. Il peut y avoir plusieurs limites cumulatives. Les limites peuvent être modifiées. Un abaissement de la limite prend effet immédiatement, une augmentation après un délai de carence de 24 h. Ceci évite que les joueurs empêchés de jouer puissent immédiatement continuer en augmentant la limite.
Ces mesures de protection sont des minimums. Les autorités de surveillance peuvent aller au-delà si elles estiment que les jeux présentent une dangerosité particulière (art. 91 OJAr). Alors, l’autorisation de jeu devra expliquer quelles sont les mesures que les maisons de jeu ou les exploitants de jeux de grande envergure doivent prendre en supplément.
La nouvelle loi prévoit aussi des règles plus générales visant à protéger la population contre les risques liés au jeu excessif. Dans ce cadre, la publicité pour les jeux d’argent fait l’objet de restrictions. Elle ne peut pas être outrancière ou induire en erreur (art. 74 LJAr), notions qui sont maintenant détaillées dans l’ordonnance. Il sera notamment impossible d’envoyer des publicités par voie électronique sans possibilité de refuser ou de s’en désabonner. Mais il sera aussi impossible d’utiliser la géolocalisation et d’envoyer de la publicité personnalisée par le biais de notifications push ou autre forme de publicité personnalisée utilisant la géolocalisation. Elles restent néanmoins légales sans géolocalisation, sujet sensible qui devra faire l’objet d’une attention des autorités de surveillance. Ainsi, on évite l’utilisation d’un moyen invasif pour toute publicité liée à des jeux d’argent.
En ce qui concerne la protection des mineurs en particulier, l’art. 72 LJAr pose le principe des limites d’âge. Ainsi, comme aujourd’hui, l’accès des maisons de jeux aux mineurs restera prohibé. Tous les jeux d’argent en ligne seront également interdits aux moins de 18 ans. Pour les jeux de grande envergure, c’est l’autorité intercantonale qui fixe la limite d’âge, mais celle-ci ne peut pas être inférieure à seize ans.
Pour les contrôles de l’âge des joueurs, cela se fait par le biais du compte de joueur pour les jeux en ligne. En effet, l’exploitant de jeux d’argent en ligne doit obligatoirement vérifier l’identité d’un joueur (art. 49 OJAr), et notamment, s’assurer de son âge. Cette condition doit également être contrôlée dès l’ouverture du compte de joueur (art. 52 OJAr). Pour les contrôles des ventes physiques, les autorités de surveillance auront le droit de recourir à des clients-mystères (art. 81 al. 3 OJAr), mais elles n’auront pas l’obligation de publier ces résultats.
Enfin, pour le cas particulier des loteries exploitées de manière automatisée, l’exploitant doit prévoir un système de contrôle d’accès qui garantisse que seules les personnes qui ont atteint l’âge de jouer peuvent le faire. La méthode de contrôle doit être approuvée par l’autorité intercantonale de surveillance.
La loi ne prévoit rien de particulier pour les jeux de petites envergures, soit les petites loteries, les paris sportifs locaux ou les petits tournois de poker. Toutefois, la loi prévoit que les cantons peuvent fixer des normes plus strictes pour ces jeux (art. 41 LJAr), voire les interdire. Une limite d’âge est envisageable dans ce cadre. De plus, les exploitants qui organisent plus de douze tournois de poker par an dans un même lieu ont l’obligation de définir un programme de mesures pour lutter contre le jeu excessif et le jeu illégal. Ainsi, les clubs de poker, s’ils apparaissent à nouveau, devront aussi avoir une sorte de programme de mesures sociales, sous une forme allégée, mais bien existante. Ce sont les cantons qui sont chargés de la surveillance de ces jeux.
Enfin, la Constitution prévoit la création par la loi d’un organe de coordination entre la Confédération et les cantons. Cet organe est institué par les art. 113 ss LJAr. L’art. 114, let. b, ch. 1 LJAr prévoit que cet organe assure une mise en œuvre cohérente des mesures de protection contre le jeu excessif. Ce nouvel acteur pourrait contribuer à une meilleure coordination des efforts de tous les acteurs institutionnels dans la lutte contre le jeu excessif, dans sa prévention et dans la protection de la population. Ce rôle potentiel doit encore être traduit dans les faits.
En conclusion, il faut signaler que la majorité des mesures n’ont pas changé avec le nouveau droit. L’obligation de collaborer entre les maisons de jeu et les institutions de prévention de la dépendance a disparu, au profit d’une possibilité de collaborer préférée par le Parlement fédéral. Cette perte ne doit pas effacer d’autres avancées dans le domaine de la protection sociale, comme l’élargissement de la définition des motifs d’exclusion et de la portée de cette dernière, ainsi qu’une plus grande précision dans le contenu du programme de mesures sociales pour les maisons de jeu et les exploitants de jeux de grande envergure.