avril 2000
Evoquer la médicalisation des dépendances, c’est parler de la place du médicament dans l’approche thérapeutique, de l’image du médecin et du travailleur social dans cette dynamique, c’est aborder la nécessaire collaboration entre deux cultures professionnelles dont l’objectif commun est le rétablissement du patient, client ou usager. Tout est question ici de définitions et d’approches. Le médecin prescrit, le travailleur social accompagne; c’est en tout cas la caricature qu’on veut bien faire de ces deux professions.
Cependant, lorsqu’on a dit médicament, a-t-on tout dit? De quels médicaments parle-t-on? Méthadone, héroïne, disulfiram, naltrexone, acamprosate, et bien d’autres encore? Et puis, lorsqu’on dit accompagnement, a-t-on dit l’essentiel? Quels objectifs poser, à quel rythme accompagner, seul ou en collaboration avec des partenaires? Qu’en pensent les principaux concernés, les personnes ayant autant bénéficié des soins des médecins que des travailleurs sociaux, avec et/ou sans médicaments? A ces différentes interrogations, les auteurs invités à s’exprimer dans ce numéro de “dépendances” nous apportent des réponses empreintes d’une indéniable touche d’optimisme. Leur volonté de se mettre en réseau est évidente; leurs constats de complémentarités indispensables sont réjouissants. Tous insistent sur la nécessité de se parler, d’intégrer les besoins du patient dans leurs approches, de se considérer les uns les autres comme des acteurs agissant ensemble, en parallèle. L’objectif commun, identifié par les deux corporations, vise à trouver le chemin de la réinsertion sociale, facteur de réussite du traitement. Dans cette perspective, tout le monde s’accorde à dire que les approches substitutives montrent leur utilité dans la reconstruction sociale de l’individu, lui donnant ainsi une motivation supplémentaire à ne plus – ou ne pas – consommer.
Les deux témoignages publiés dans ce numéro sont à cet égard éloquents: tout en considérant que médecins et travailleurs sociaux leur ont apporté des solutions jugées après coup trop faciles – aide sociale “immédiate”, substitution “laxiste” – ils nous montrent que ces acteurs de l’ombre leur ont permis de mettre en place, à leur rythme, des projets de vie imaginables désormais sans consommation de produits.
En définitive, la question n’est plus de savoir s’il faut médicaliser les dépendances, mais de connaître l’exacte posologie du médicament, afin que celui-ci n’occulte pas le vrai projet thérapeutique: la réinsertion sociale et le mieux-être de la personne.
Michel Graf (directeur-adjoint de l'ISPA)