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  4. La méthadone, un levier important pour une prise en charge efficace des héroïnomanes

Enjeux sociaux de l’accompagnement des toxicomanes
Anne Dentan (Re’lier)
À chaque dépendance son médicament?
Dr Jacques Besson (Division d'abus de substances)
« Il n’y a pas de problèmes, il y a des solutions »
Lucky, interview recueilli par Marie-José Auderset, ISPA
Prescription d’héroïne: une combinaison nécessaire d’approches diverses
Nicole Stutzmann (OFSP), Martin Hosek (OFSP), Philippe Lehmann (OFSP)
Le renard et la cigogne ou la collaboration entre médecins et travailleurs sociaux
François Pilet (médecin généraliste)
Un parcours thématique
Christophe
La méthadone, un levier important pour une prise en charge efficace des héroïnomanes
Jean-Jacques Déglon, médecin-directeur de la Fondation Phénix à Genève

Dépendances 10 - Médicaliser les dépendances: des effets secondaires?: La méthadone, un levier important pour une prise en charge efficace des héroïnomanes

avril 2000

La méthadone, un levier important pour une prise en charge efficace des héroïnomanes

Jean-Jacques Déglon, médecin-directeur de la Fondation Phénix à Genève

Médicaliser les dépendances, on en parle de plus en plus. Ce concept, longtemps diabolisé, s’impose progressivement dans les différents milieux thérapeutiques en parallèle à l’action psychosociale. Même parmi ceux qui sont restés longtemps hostiles à tout traitement de substitution. En effet, l’épreuve de la réalité clinique est impitoyable. Face aux échecs répétés, aux crève-cœurs déprimants, aux illusions perdues, il faut revoir nos concepts théoriques et réviser nos hypothèses de travail.

L’exigence d’abstinence absolue après un sevrage rapide s’est malheureusement révélée assassine pour de nombreux héroïnomanes maintenant décédés des suites du sida, d’overdoses ou de suicides après un état déficitaire insupportable, neurobiologiquement programmé. Beaucoup d’autres, maintenant polytoxicomanes, traînent clochardisés et psychiquement handicapés.

Des thérapeutes courageux ont publiquement assumé leur conversion vers la médicalisation des prises en charge en reconnaissant l’erreur de leurs oppositions parfois passionnées aux traitements de substitution. Annie Mino en est un bon exemple. D’autres, bien que célèbres cliniciens, vont prendre une retraite douloureuse sans avoir pu faire cette démarche et en restant persuadés du bien-fondé de leur politique visant une rapide et totale abstinence. Peut-être pour fuir une trop forte culpabilité et éviter par ce déni une dépression trop importante s’ils devaient reconnaître une quelconque responsabilité dans toutes ces morts de patients trop rapidement sevrés, encore biologiquement et psychiquement « paralysés » à qui on a ordonné « prends ton lit et marche », sur un terrain pour eux truffé de problèmes sociaux, véritable champ de mines.

Du jugement moral à la prise en charge médicale

Pourquoi cet acharnement pendant 20 ans à exiger un rapide sevrage des drogues et le maintien d’une abstinence absolue en crucifiant toute médication de substitution?

Une des raisons majeures réside dans le manque de connaissance des bases neurobiologiques des dépendances, laissant la porte ouverte à toutes les hypothèses, même les plus farfelues, et aux préjugés. Longtemps, le toxicomane a été considéré comme un pervers jouisseur transgressant allègrement les puissants interdits sociaux du plaisir auxquels le commun des mortels reste sagement soumis. Mais pas, chez bien des gens, sans une certaine jalousie inconsciente. Ce sentiment explique peut-être l’agressivité fréquente que l’on observe à l’encontre des toxicomanes, envers la méthadone médiatisée comme une héroïne de synthèse, source supposée de plaisir de substitution, et donc à l’encontre des médecins prescripteurs, complices de cette soi-disant jouissance et longtemps condamnés comme des « dealers en blouse blanche ». Porte-parole des idées du public, les journalistes ont largement contribué à renforcer ces préjugés. Philippe Bouvard, il y a quelques années, a bien illustré dans une de ses rubriques ce faux sentiment général de jouissance perverse en deux lignes assassines: « Aujourd’hui, on va donner de la méthadone aux toxicomanes et demain ce sera des enfants aux pédophiles ».

Dans ce contexte moral générateur de sentiments agressifs envers les drogués, on comprend que durant des années, les seules prises en charge acceptables aient été d’une part la punition par l’incarcération ou la rééducation par l’isolement dans les centres thérapeutiques et, d’autre part, la rédemption dans la douleur par des cures de sevrage très rapides suivies de la nécessité d’une pureté durable. Plus l’arrêt des drogues était douloureux, moins il ne devait y avoir de rechutes. Malheureusement, cette théorie n’a jamais pu être démontrée. Les écrits officiels parlaient de la voie facile des traitements de substitution par rapport au dur chemin de l’abstinence, le seul reconnu.

Plusieurs facteurs ont contribué ces dernières années à un changement radical des mentalités et à la médicalisation progressive des dépendances.

L’échec des cures de sevrage

Tout d’abord, l’échec habituel des prises en charge à visée d’abstinence à court ou moyen terme, malgré le soutien psychosocial et souvent des efforts désespérés des patients. Les évaluations nombreuses sur le plan international du devenir des anciens héroïnomanes sont déprimantes. Une grande majorité d’entre eux rechutent à plus ou moins court terme ou présentent une péjoration de leur qualité de vie parfois invalidante qui les pousse souvent à l’abus d’alcool, de tranquillisants ou de cocaïne.

Un état déficitaire est fréquemment observé à la suite d’un sevrage rapide des opiacés, surtout après une longue période de dépendance. Il est caractérisé par une angoisse profonde, des troubles du sommeil, une asthénie marquée, une grande fatigabilité, une irritabilité, une estime de soi médiocre, des difficultés relationnelles, une baisse des fonctions intellectuelles, des tendances dépressives, etc. Ce syndrome, maintenant bien défini, peut durer, de façon plus ou moins marquée, de quelques semaines à de nombreux mois. Parfois, il paraît même irréversible évoquant un dysfonctionnement durable des systèmes de régulation neurobiologiques complexes du cerveau après une trop longue ou trop forte exposition aux opiacés. L’inefficacité relative des antidépresseurs et des neuroleptiques à équilibrer cet état déficitaire, comparée à l’action “miraculeuse” des médications de substitution qui normalisent souvent en quelques heures les troubles observés, renforce l’hypothèse médicale d’une perturbation des fonctions des systèmes opioïdes.

Pendant longtemps, on a « psychodynamisé » à tort ce tableau déficitaire, parlant de l’angoisse de mort du toxicomane en sevrage ou du deuil impossible du toxique. Cela explique les échecs cruels de l’approche purement psychothérapeutique de ces états. Les théories psychanalytiques en matière de pharmacodépendance telles que le fameux stade du miroir brisé, étonnamment peu critiqué, se sont du reste effondrées comme des châteaux de cartes au fur et à mesure des nouvelles connaissances en neurobiologie ouvrant la voie à des approches plus médicalisées.

Les enseignements de la clinique

La clinique de la méthadone, que nous pratiquons depuis plus de 20 ans, nous a progressivement conduits à envisager sérieusement les hypothèses biologiques, malgré une formation psychanalytique et des premières années centrées exclusivement sur les psychothérapies.

Durant cette période, nous avons suivi plusieurs milliers de patients à court, moyen ou long terme avec la méthadone associée à un soutien psychosocial. Nous avons procédé à des centaines de sevrage de la méthadone, de façon très lentement dégressive. Malgré le fait que nous n’entreprenons cet « atterrissage progressif » que lorsque nous avons déblayé la piste de tous les obstacles sociaux, affectifs, familiaux et professionnels, pour éviter de le faire capoter, nous nous sommes fréquemment trouvés confrontés à un moment donné à de sérieuses turbulences. Parfois, il s’agit même d’un « crash », moment où la courbe descendante du dosage de la méthadone croise celle rapidement montante des analyses d’urine positives aux opiacés après des années de négativité. La dose de méthadone n’est plus portante et les symptômes du syndrome déficitaire se manifestent, rapidement insupportables avec un réveil des anciens réflexes conditionnés qui expliquent les rechutes. La situation clinique est toujours la même. Les patients se plaignent à un moment donné de mal dormir, d’être nerveux, sans entrain. La copine les menace de rupture, le patron d’un renvoi, etc. La réadaptation de la dose de méthadone au dosage adéquat efface ce tableau déficitaire dans pratiquement tous les cas dans les 24 à 48 heures.

Quelles que soient nos convictions théoriques et nos sentiments de toute-puissance, la répétition de ces observations cliniques nous force à la modestie. Malgré nous, nous avons dû admettre au fil des années que l’action biologique de la méthadone prime largement nos talents psychothérapeutiques.

Newmann a publié déjà en 1979 une remarquable étude clinique qui illustre de façon éclatante cette problématique. Il serait difficile de la reproduire aujour d’hui pour des raisons éthiques. Pour juger de l’effet réel ou placebo de la méthadone par rapport aux autres éléments thérapeutiques du programme déprise en charge (soutien social, psychothérapie, cadre sécurisant, etc.), 100 patients en cure de méthadone et abstinents des opiacés depuis plusieurs années ont été répartis en deux groupes à leur insu et à celui de leurs thérapeutes. 50 ont continué à recevoir leur dosage normal de méthadone et 50 ont été sevrés sans le savoir de 1 mg par jour. En cas de rechute, après 6 urines positives pour l’héroïne, les sujets étaient exclus de l’étude et redosés normalement. Les résultats ont été sans appel. Alors que dans le groupe témoin sans baisse du dosage de la méthadone, le taux de rétention restait normal, dans le groupe en voie de sevrage, on a déploré, après 30 semaines, un taux de rechutes de 90 %. Un seul des 50 membres de ce groupe était encore dans l’étude après un an. Et ceci, malgré le renforcement des prises en charge sociales et psychothérapeutiques des soignants, impuissants à maîtriser la décompensation de leurs patients. Cette étude historique magistrale, confirmée par d’autres recherches scientifiques, renforce l’hypothèse médicale d’une importante base neurobiologique facilitant puis entretenant les dépendances.

L’importance du soutien psychosocial

Personne ne peut nier le rôle capital du soutien éducatif, psychologique et social dans la prise en charge des personnes dépendantes, même les plus fervents partisans des thèses biologiques.

L’amélioration spectaculaire fréquente des héroïnomanes dans les institutions résidentielles spécialisées a même longtemps pu faire illusion. On a pu croire qu’il suffisait de quelques mois, puis d’un à deux ans pour transformer des patients psychiquement fragiles en supermen et qu’il était alors possible de se passer de toute médication. Il faut remarquer que l’absence des réflexes conditionnés pour les drogues dans un cadre protecteur représente un important facteur de succès. Le second est la réduction massive du stress dans un environnement sécurisant, affectueux, sans soucis affectifs, financiers, de logement et de travail. Des dizaines d’études scientifiques ont confirmé que le stress favorise la dépression, entre autres par la libération d’une hormone de stress stimulant le cortisol, autre hormone sécrétée par les surrénales. Les opiacés exercent une puissante action antistress. On comprend que nos patients, débordés par des affects anxieux et dépressifs, cherchent désespérément à les atténuer avec l’héroïne. Dans un milieu protégé, sans stress et sans tentation, les toxicomanes peuvent plus facilement maintenir une bonne abstinence et sortir de leur dépression entretenue non seulement par tous leurs problèmes psychosociaux, mais aussi par l’usage répété des drogues.

Le problème est la sortie des institutions résidentielles si l’on n’envisage pas des séjours d’une durée illimitée dans un système type « Patriarche » ou dans un cadre de vie isolé et privilégié.

De retour dans le milieu naturel qui a conditionné la toxicomanie, bien des patients se trouvent confrontés à une réactivation des pulsions pour les drogues et à un stress d’autant plus important qu’il succède à une période sans soucis. Le manque d’argent pour poursuivre les loisirs initiés au centre, des difficultés relationnelles, des problèmes professionnels, un isolement affectif, etc., sont autant de causes expliquant l’importance de ce stress qui souvent réactive un état anxio-dépressif sous-jacent, facteur premier de rechute. De remarquables travaux neurobiologiques, entre autres ceux menés par l’équipe de Mary Jeanne Kreek, ont démontré que le sevrage des opiacés entraînait une sensibilité durable au stress.

Déçus par les échecs fréquents de leurs anciens résidents, les responsables des centres spécialisés se sont efforcés de poursuivre le soutien psychosocial à la sortie de l’institution. Mais, de même qu’un prématuré demeure très fragile aux microbes lorsqu’il peut quitter l’isolette, un ex-toxicomane reste particulièrement vulnérable aux drogues en dehors des centres. Pour des raisons de mémoire chimique, une seule prise d’héroïne ou de cocaïne peut réactiver d’immédiates pulsions obsédantes et entraîner une grave rechute, au même titre qu’un ancien alcoolique qui boit ne serait-ce qu’un seul verre de vin.

La reconnaissance actuelle d’une problématique psychique fréquente chez les sujets dépendants, de plus en plus polytoxicomanes (alcool, tranquillisants, héroïne, cocaïne), permet de sortir des querelles de chapelle. Une guerre des thérapies a longtemps opposé les partisans du tout social ou du tout psychologique, refusant les médicaments qui « tuent la parole », aux militants du tout médical. Les premiers réalisent maintenant l’importance des difficultés psychiques de leurs clients, la fragilité de leur structure de personnalité et la possibilité d’une maladie dépressive ou psychotique à la base de leur toxicomanie. Ils comprennent mieux l’intérêt d’une prise en compte et d’un traitement à long terme de ces affections. Les seconds, souvent en échec avec leur seule prescription médicale, réalisent l’importance capitale d’un soutien conjoint sur le plan affectif, social et psychothérapeutique visant entre autres à limiter les facteurs de stress, donc de dépression, donc de rechute.

Les bases de l’action biologique

Pour comprendre pourquoi la méthadone favorise le travail social, l’action psychothérapeutique, les relations affectives et le soutien professionnel, toutes aides autrement souvent vouées à l’échec, il convient de résumer ce que l’on sait actuellement de son action neurobiologique.

ÀA un dosage individuellement adapté, la méthadone ne crée pas d’euphorie, ni de sédation chez un héroïnomane, en raison de la tolérance acquise aux opiacés et de la lente absorption de ce produit par voie orale. On a fait passer des tests psychomoteurs destinés aux pilotes d’avion à un groupe de patients sous méthadone. Ils les ont mieux réussis que les sujets normaux, parce que moins nerveux. Si le dosage est suffisant, une seule prise par jour permet à la méthadone de se fixer de façon stable sur les récepteurs aux endorphines. 5 à 10% des patients, génétiquement métaboliseurs rapides, doivent la prendre en deux fois, matin et soir.

Comment expliquer cette remarquable action antistress, antidépressive et antipsychotique de la méthadone bien décrite par les cliniciens, surtout lors des premiers mois de traitement?

Outre l’effet stabilisateur sur les systèmes opioïdes, la méthadone agit au niveau des mécanismes de régulation des neuromédiateurs, tels que la sérotonine et surtout la dopamine. Un taux suffisant de ces neuro-hormones est important pour maintenir une humeur stable et une bonne estime de soi. La plupart des drogues utilisées par les toxicomanes augmentent la concentration de dopamine dans certaines régions du cerveau par des mécanismes d’actions différentes (cocaïne, héroïne, alcool, haschisch, nicotine, etc.). Les opiacés, en inhibant le système contrôlant les neurones à dopamine, stimulent ces derniers qui libèrent davantage de dopamine (blocage du frein = accélération).

En résumé, la méthadone, outre le fait qu’elle réduise considérablement les pulsions pour l’héroïne en se fixant durablement sur les récepteurs morphiniques « en manque », exerce aussi une remarquable action stabilisatrice sur le plan psychiatrique avec peu d’effets secondaires. Cette action lui confère donc un caractère beaucoup plus thérapeutique au sens curatif que simplement substitutif.

Amélioration du travail psychothérapeutique

Comment envisager une psychothérapie suivie efficace chez des patients alternativement en manque ou « défoncés »? Le stress quotidien, l’énergie dépensée pour trouver ses doses, les problèmes psychosociaux représentent tout autant de facteurs limitant la disponibilité psychique nécessaire au bon déroulement d’une psychothérapie. Les troubles dépressifs, l’anxiété ou les symptômes de manque constituent également une contre-indication à un travail analytique susceptible de décompenser un équilibre psychiquement déjà fragile. Sous l’effet des drogues, le patient est peu perméable à l’action psychothérapeutique. À peine se souvient-il d’être venu voir son thérapeute, pour autant qu’il ait pu se rendre à sa séance.

La méthadone, en restaurant un état de normalité, en facilitant le maintien d’une abstinence durable et en favorisant un bon équilibre psychosocial, permet un bien meilleur déroulement des psychothérapies, même à visée analytique pour les sujets qui peuvent en bénéficier.

Une action sociale efficace

Quel assistant social ne s’est-il pas déprimé au contact des toxicomanes? Combien, spécialisés dans ce domaine, ont-ils quitté ce secteur après épuisement?

La déception et l’agressivité face au client toxicomane sont de règle. On lui trouve un appartement après de nombreuses démarches et il se fait expulser en raison de son comportement inacceptable par les voisins. On l’aide financièrement et il court s’acheter de l’héroïne avec l’argent reçu. On finit par lui trouver un travail et il le sabote par ses arrivées tardives, ses vols, son agressivité en manque ou ses états de défonce.

Après une phase de méfiance idéologique due à leur mauvaise information, les assistants sociaux ont vite découvert l’intérêt pour eux des cures de méthadone bien conduites qui potentialisent efficacement leur action auprès des toxicomanes, dès lors capables pour la plupart de maintenir une abstinence durable et une bonne stabilité.

Rétablissement des relations affectives

L’héroïnomanie représente un véritable cercle vicieux. Alors que bien des toxicomanes sont dépendants affectivement de leurs parents, d’un ou d’une amie, et restent très sensibles aux marques de rejet, les prises de drogues vont progressivement les isoler.

La plupart des parents, trop angoissés, sont obligés à un moment donné, la mort dans l’âme, de couper avec leur enfant drogué pour ne pas sombrer dans la dépression. De même, les amis, le conjoint, la copine. Cette rupture va réactiver un sentiment d’abandon insupportable et aggraver les tendances dépressives avec pour conséquence une toxicomanie accrue. D’où le cercle vicieux.

La méthadone inverse ce cercle vicieux. Sous méthadone, les patients peuvent plus facilement parvenir à une abstinence durable, retrouver un équilibre psychique stable et maintenir une bonne qualité de vie. Les parents, le conjoint, l’ami (e), tout heureux, peuvent alors sortir de leur propre dépression et se montrer à nouveau capables d’affection et de tendresse. Ces sentiments hautement thérapeutiques favorisent à leur tour le maintien de l’abstinence. Le cercle vicieux est rompu.

Le maintien dans un réseau de soins

Nous ne craignons pas un léger marché noir de méthadone, facteur plutôt positif sur le plan de la santé publique. Nous n’avons jamais observé de néodépendance à la méthadone chez des jeunes qui auraient débuté leur toxicomanie par ce produit qui ne circule que quasi exclusivement dans le milieu des héroïnomanes. Les centres de traitement étant fermés la nuit, la possibilité de trouver dans la rue une substance de dépannage limite les agressions, les casses et les vols de sacs à main. De plus, les toxicomanes, parfois sujets à de sérieux préjugés sur la méthadone, découvrent l’intérêt de cette molécule, sa longue durée d’action, son absence d’effets sédatifs et ses propriétés psychiquement stabilisatrices. Beaucoup ont ainsi été motivés à entreprendre un traitement sérieux dans un programme spécialisé, en pouvant alors bénéficier de toute l’aide psychosociale disponible dans ces équipes.

On a beaucoup critiqué la dépendance à la méthadone. En fait, le besoin d’insuline ou de médicaments antiépileptiques est bien plus dangereux, car l’arrêt de leur prise quotidienne peut entraîner la mort par coma ou crise de grand-mal, ce qui n’est pas le cas de la méthadone. Cette dépendance est donc relative et permet paradoxalement aux patients de retrouver une liberté appréciable.

La prescription de méthadone sous contrôle dans les centres ambulatoires spécialisés, au début quotidienne, puis plusieurs fois par semaine, favorise aussi des contacts réguliers avec les infirmières, les psychologues, les travailleurs sociaux et les médecins. Ces rencontres fréquentes se révèlent aussi hautement thérapeutiques.

Comment les patients jugent-ils eux-mêmes l’importance de la méthadone par rapport aux autres éléments de la prise en charge?

Lors d’une récente évaluation portant sur 371 sujets en traitement dans nos programmes, nous leur avons demandé quelle était l’importance des points suivants dans le maintien de leur équilibre: l’assistance sociale, la psychothérapie, la méthadone en tant que médicament, les analyses d’urine, le contrat thérapeutique et la relation humaine avec les thérapeutes. Ils devaient mettre une note de 0 à 100 pour chacun de ces points. En tête, ils ont placé la méthadone avec une note de 94, conscients de la place capitale pour eux d’un médicament correctement dosé pris régulièrement le temps nécessaire. En deuxième position, ils situent la relation humaine avec les thérapeutes (note de 84) confirmant ainsi leurs besoins affectifs. L’aide de l’assistante sociale vient en troisième avec une note de 79. La psychothérapie est située pratiquement au même niveau que les contrôles d’urine (72 et 69). Enfin, les exigences du contrat thérapeutique, notées à 66, démontrent leur important besoin d’un cadre sécurisant.

L’héroïne, comme automédication

Pourquoi certains sujets sont-ils plus réceptifs aux drogues et deviennent-ils plus facilement toxicomanes alors que d’autres peuvent en faire un usage occasionnel sans devenir dépendants? La plupart des soldats américains dépendants des opiacés au Vietnam ont pu sans trop de difficultés se sevrer sans rechute une fois rentrés au pays dans leur famille, alors que d’autres sont restés prisonniers de l’héroïne ou psychiquement handicapés. Quelles en sont les raisons ?

On peut dire que tous ceux qui souffrent de difficultés psychiques, quelle qu’en soit leur origine, sont à haut risque de toxicomanie s’ils découvrent l’effet stabilisateur pour eux de certaines drogues qui agissent différemment suivant la nature des individus.

De nouvelles hypothèses génétiques sont actuellement proposées. Certains sujets souffriraient dès la naissance d’un défaut génétique se manifestant par le dysfonctionnement d’une endorphine particulière ou de l’un des nombreux neuromédiateurs chimiques fabriqués dans le cerveau. Il pourrait en résulter une forme de dépression masquée dès l’enfance, des troubles du contact avec les autres, un repli sur soi, une inhibition intellectuelle, des problèmes de concentration ou des troubles du comportement.

Les adolescents souffrant d’une problématique psychiatrique, d’un état limite (borderline), de troubles dépressifs, psychotiques ou de troubles obsessionnels et compulsifs par exemple se sentent beaucoup mieux sur le plan psychique, du moins au début, avec l’héroïne et sont tentés dès lors de perpétuer cet apaisement.

Nous sommes frappés par le nombre d’anciens enfants hyperactifs parmi les patients dans nos programmes de traitement, nettement plus important que dans une population normale. Le déficit d’attention et de concentration avec ou sans hyperactivité se révèle une maladie vraisemblablement génétique, caractérisée par un dysfonctionnement des systèmes à dopamine. Le traitement médical consiste en l’administration de Ritaline, un dérivé des amphétamines, qui augmente la disponibilité de la dopamine et paradoxalement calme ces enfants en équilibrant les symptômes dont ils souffrent. La Ritaline, également longtemps critiquée, représente donc un médicament nécessaire pour stabiliser une maladie métabolique d’origine probablement génétique. Non diagnostiqués, et non traités, les sujets souffrant de troubles de l’attention et de la concentration avec ou sans hyperactivité, s’ils découvrent par hasard l’héroïne, augmentant également le taux de dopamine, seront améliorés, mais à haut risque de dépendance.

Certains adolescents souffrant de problèmes psychiques ont découvert par le sport intensif un moyen de stimuler leurs endorphines et de calmer leur mal-être avant de découvrir dans les drogues un moyen encore bien plus efficace d’autoéquilibre. D’où la surreprésentation des anciens sportifs parmi notre population de patients en traitement.

Le changement psychologique miraculeux décrit lors d’une première prise d’héroïne par bien de nos patients figurant dans l’un ou l’autre de ces groupes et souffrant de difficultés psychiques contraste avec l’indifférence habituelle de la plupart des malades qui ont dû recevoir de la morphine à l’hôpital et qui n’ont jamais ressenti l’envie de continuer à en user à leur sortie. Pour les premiers, c’est comme s’ils avaient vu en noir et blanc toute leur vie et que, sous opiacés, ils pouvaient enfin bénéficier d’une vision en couleur. On comprend dès lors leur acharnement à maintenir coûte que coûte cette nouvelle qualité de vie.

En conclusion, le thérapeute doit tenir compte de deux nécessités:

  1. Nécessité de médicaliser la dépendance de certains toxicomanes
    On doit accepter maintenant que la plupart des toxicomanes ne sont pas des pervers jouisseurs à punir, à isoler ou à sevrer rapidement, mais des patients cherchant désespérément à autoéquilibrer différents troubles psychiques en partie dus à un dysfonctionnement neurobiologique. Dans bien des cas, ces difficultés apparaissent de plus en plus clairement d’origine génétique. De plus, ces troubles sont aggravés non seulement par l’action des drogues, mais aussi par tous les problèmes affectifs, sociaux et familiaux engendrés et perpétués par la toxicomanie.
    Pour ces patients, la notion d’affection chronique doit s’imposer et, avec elle, la nécessité fréquente du maintien d’un médicament équilibrateur dosé de façon adéquate qui doit être pleinement accepté au lieu d’être rejeté.

  2. Nécessité d’une approche conjointe, médico-psychosociale
    L’heure n’est plus aux prises de position passionnées et à la primauté d’une action thérapeutique spécifique à l’exclusion des autres. L’addiction est un syndrome qui paraît unique, mais dont l’étiologie est multiple. De plus, chaque toxicomane présente des besoins différents. Une solution individuellement adaptée doit donc être trouvée pour chacun en fonction de ses problèmes spécifiques. Pour cela, un bilan complet doit être effectué pour permettre d’identifier les problèmes médicaux, psychiques, affectifs, sociaux, familiaux, professionnels, intriqués comme facteurs préexistants ou secondaires à la toxicomanie et devant faire l’objet de réponses thérapeutiques spécifiques car ils sont susceptibles aussi de favoriser le maintien des conduites addictives. Chaque toxicomane doit pouvoir facilement passer d’une forme de thérapie à une autre ou surtout les combiner si nécessaire. Il est donc indispensable de maintenir une pluralité de moyens pour répondre aux besoins très spécifiques de chaque patient pharmacodépendant, même si certaines prises en charge sont plus coûteuses.

En conclusion, le plus important est de permettre à chaque toxicomane d’avoir accès immédiatement à une forme de thérapie qui lui convienne, ou à plusieurs s’il le faut, le temps nécessaire, pour qu’il puisse rapidement retrouver un bon équilibre médico-psychosocial et qu’il réussisse à maintenir à long terme cette bonne qualité de vie.

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