juin 2011
Béatrice Salla, responsable de projets à ciao.ch
L’Association romande CIAO œuvre pour la promotion de la santé et la prévention auprès des jeunes Romands de 13 à 20 ans. Les adolescents trouvent sur son site www.ciao.ch plus de 1’600 pages d’informations rédigées spécialement pour eux, sur de nombreuses thématiques qui les intéressent: sexualité, drogues, relations, violences, travail, santé, poids, internet, valeurs, racisme, droits ou encore estime de soi et argent. CIAO se présente donc comme une plateforme d’information, ce qui constitue un des points clé du projet. Les jeunes peuvent ainsi entrer en contact avec des sujets sur lesquels ils ne se sont pas encore interrogés, et savent où revenir quand ils y sont confrontés d’une manière ou d’une autre.
Ils peuvent également poser des questions anonymement et gratuitement directement sur le site et obtenir des réponses de spécialistes dans les 3 jours ouvrables. CIAO a d’abord été présent sur Vidéotex et est passé sur internet en 1997. Il a répondu au fil des ans à près de 100’000 questions de jeunes sur tous les sujets qui les concernent. Ces questions et leurs réponses constituent une véritable base de données permettant d’explorer la manière dont les jeunes abordent les problèmes qu’ils rencontrent; elles constituent de plus un observatoire de choix pour savoir ce qui préoccupe vraiment cette classe d’âge.
Une partie de ciao.ch traite de la question du tabac: des informations spécifiques, des quiz et la possibilité de poser des questions à des professionnels d’Addiction Info Suisse permettent aux internautes de se renseigner sur ce sujet dans toutes ses dimensions. Ce sont ainsi des centaines de questions spécifiques qui ont été posées au fil des ans.
CIAO a décidé d’analyser celles posées entre 2005 et 2008, pour mieux cerner quelles sont les préoccupations des jeunes sur le tabac et quel rôle peut jouer une offre internet d’information et de prévention dans ce contexte. Cette analyse n’a aucune prétention scientifique; elle a pour unique ambition d’offrir une photographie de la situation et de fournir des pistes de réflexion.
La récolte des questions s’est faite par le biais du moteur de recherche de CIAO et a permis de collecter l’ensemble des questions qui touchaient le tabac de manière directe ou indirecte dans les différentes rubriques proposées par le site. Le corpus final comprend 207 questions. Les éléments saillants de chaque question ont été intégralement retranscrits avec certains commentaires pertinents, telle que la durée de la consommation ou l’âge de la première cigarette. Le travail était bien évidemment limité à la quantité d’informations données par les jeunes eux-mêmes.
Sur CIAO, les internautes choisissent dans quelle rubrique ils désirent poser leur question; ce choix constitue un premier aperçu de l’angle sous lequel ils comprennent un sujet. Dans le cas du tabac, près de 80% des questions ont été posées dans la rubrique Drogues1 et moins de 10% dans Santé, le solde se répartissant à égalité entre Sexualité et Relations. Cela tend à démontrer que le tabac est clairement identifié comme une substance nocive dont on peut devenir dépendant.
L’impact de la consommation sur la santé est présent dans 38% de l’ensemble des questions posées. Il est intéressant de relever que parmi ces questions se trouve une partie de celles qui parlent des nouveaux modes de consommation du tabac. La chicha, le snus et le tabac à priser ont fait leur apparition ces dernières années et les jeunes cherchent à s’assurer de la véracité des informations qui ont circulé à leur propos dans les préaux. Une offre interactive de questions-réponses comme celle de ciao.ch a ici tout son sens: c’est un bon endroit pour poser des questions sur les «nouveautés» et les jeunes l’utilisent fréquemment dans ce sens. Certains d’entre eux demandent d’ailleurs une sorte de classement de la nocivité des modes de consommation, cherchant manifestement à minimiser les risques qu’ils pourraient prendre.
Les jeunes qui ont posé des questions savent dans leur grande majorité que le tabac est mauvais pour la santé et le cancer est souvent identifié comme le risque le plus important: «Je voulais savoir si la cigarette était plus dangereuse pour les plus jeunes et pourquoi le serait-elle, demande un Vaudois de 13 ans. Ça pourrit les poumons tout autant que chez les adultes?» La plupart des fumeurs (33% des questions ont été posées par des jeunes que nous avons pu identifier comme fumeurs réguliers et 16% par des fumeurs occasionnels) désirent être rassurés par rapport à leur propre consommation: «Je me laisse tenter tous les 36 du mois par une taffe en soirée. Est-ce nocif ?» Les jeunes se posent également de nombreuses questions sur d’éventuels effets secondaires du tabac: est-ce que la consommation de tabac interfère avec la croissance des seins? A-t-elle une conséquence sur la sexualité? Quelles sont ses interactions avec la pilule contraceptive? Et qu’en est-il du poids? Là aussi, CIAO joue un rôle dans la chaîne d’information et de prévention dans le domaine du tabac: identifié comme un site de spécialistes auquel on peut faire confiance, ciao.ch est utilisé comme une source d’informations pendant la consommation, mais également avant d’entrer en consommation.
C’est là un autre aspect intéressant des questions: des internautes interpellent les répondants, ne sachant que faire de leur récente envie de consommer. «J’aimerais un conseil pour ne pas avoir envie de fumer, explique une jeune fille de 15 ans. Je n’ai jamais fumé, mais tout mon entourage fume… je n’aime pas la fumée, mais des fois, j’ai envie d’essayer. C’est normal?». L’influence des pairs est signalée dans 23% des questions posées: «depuis que j’ai vu un copain rouler sa cigarette, j’ai tout d’un coup eu envie de faire comme lui, de me mettre à fumer. Mais c’est mauvais pour la santé, donc je me demande quoi faire».
Les jeunes qui posent ces questions sont conscients des risques pour la santé, mais la tentation est forte et ils cherchent auprès de CIAO une marche à suivre ou des recommandations pour résister à ces nouvelles envies. L’anonymat de la démarche sur le site facilite cette demande de conseils, tout en leur donnant directement accès à des spécialistes du domaine. Cette «accessibilité» est un des points forts du travail de prévention effectué par CIAO: les jeunes viennent vraiment y chercher un regard d’adultes de référence, qui ne soient ni leurs parents, ni leurs professeurs et auprès desquels ils n’auront pas de comptes à rendre sur la décision qu’ils prendront. Ils se sentent libres de poser leurs questions, sans craindre le jugement de valeur ou les «sermons» que peuvent leur donner leurs proches.
Le risque de dépendance constitue une réelle préoccupation chez les jeunes qui ne fument pas ou qui sont dans une consommation expérimentale: 17% des questions posées abordent cette problématique. «Il y a quelques jours, j’étais à une fête avec toute une bande de copains et ils fumaient presque tous. Donc, j’ai voulu essayer. C’était ma première fois, et j’ai dû fumer deux ou trois cigarettes. Et franchement, cela fait idiot de dire ça, mais j’ai bien aimé. Donc, ils refont ce genre de fête toutes les deux semaines ou tous les mois. Est-ce que si je ne fume pas plus de 5 cigarettes lors de ces fêtes, mais plus du tout entre, je risque de devenir dépendante?» De nombreuses questions sont aussi descriptives que cette dernière: les internautes prennent la peine de présenter complètement leur situation pour avoir une réponse sur mesure. Ils recherchent une évaluation du risque effectivement pris, donnée par un ou une spécialiste du domaine, et qui donne en quelque sorte corps aux messages de prévention généraux qu’ils ont reçus auparavant. Ces questions participent donc à une démarche d’appropriation des messages reçus au préalable par les adolescents. CIAO joue un rôle dans cette réflexion en répondant dans les détails à une question et en partant du niveau de compréhension de l’internaute2. La réponse donnée est unique dans le sens où elle répond à une demande personnelle, mais également générale puisqu’elle apporte des éléments intéressant toutes les personnes qui ont les mêmes interrogations. Ce partage de connaissance est d’ailleurs évident dans les statistiques du site, qui montrent que chaque question-réponse est vue de 80 à 700 fois selon les rubriques.
Souvent perçu à ses débuts comme un acte hautement social, le fait de fumer conduit à une dépendance dont les jeunes fumeurs prennent conscience plus ou moins rapidement: «Je me suis dit, bon, ma fille, ne crains rien, après ça sera FINI. Mais je demande sans arrêt des cigarettes à ma meilleure amie et maintenant je me dis: ce que tu es conne, tu n’aurais jamais dû commencer! T’es trop une bouffonne, maintenant tu ne pourras plus t’arrêter. Alors je suis paniquée en pensant que je suis une grande fumeuse et donc j’aimerais à tout prix arrêter. Le problème, c’est que je n’y arrive pas.». Contrairement à ce cas, la plupart des fumeurs qui ont posé des questions minimisent leur dépendance effective, assurant qu’ils arrêteront quand ils le désireront. Il est intéressant de relever qu’ils posent néanmoins des questions, ce qui tend à démontrer qu’ils considèrent leur consommation comme une source de problèmes, même si ils ne se centrent pas sur la dépendance.
Les 17% des questions reçues sont des demandes d’aide à l’arrêt, qui dépeignent bien l’ambivalence ressentie par les fumeurs: ils veulent arrêter pour leur santé, mais ils aiment fumer: «J’ai 15 ans et je fume depuis deux ans quotidiennement… J’ai augmenté: je suis passé de deux cigarettes à dix dans les grands jours (…) et aujourd’hui j’ai décidé d’arrêter… J’ai peur pour ma santé… Est-ce bien de prendre des substituts (un peu de snuff, un cigare?) ou est-ce mieux de baisser sa consommation à une ou deux cigarettes par jour? Je n’ai pas envie d’arrêter de fumer, j’aime tellement ça, mais je suis obligé, car j’ai peur pour ma santé». CIAO n’ayant pas vocation à effectuer des suivis, il n’est pas outillé pour une aide à l’arrêt: les réponses données proposent des pistes et présentent les différents lieux auxquels il est possible de s’adresser pour obtenir un suivi personnel.
Près de 13% des questions sont posées par des internautes qui se font du souci pour leurs proches, consommateurs: il peut s’agir d’un parent proche, d’amis, du petit copain ou de la petite copine. «La question est en rapport avec un ami qui compte beaucoup pour moi. Il se trouve qu’il fume et boit souvent de l’alcool et j’aimerais lui demander d’arrêter car j’ai peur pour sa santé. Il n’y a pas longtemps, un membre de ma famille est décédé d’un cancer du poumon». Comme sur le reste du site, le désir d’aider une tierce personne est plutôt féminin: les garçons sont moins de 6% à poser des questions sous cet angle.
Les questions posées par les jeunes démontrent qu’ils cherchent à se faire une opinion sur le tabac et leur éventuelle consommation: ils cherchent une réponse personnelle par rapport à leur situation individuelle. Ils viennent vérifier sur CIAO leurs connaissances et la déclinaison dans la réalité des messages de prévention reçus au préalable et en quelque sorte «hors contexte» puisque souvent donnés avant que les jeunes ne soient confrontés au choix de fumer ou non.
C’est pourquoi une offre telle que CIAO constitue un maillon de la chaîne de prévention déployée sur le terrain par tous les organismes travaillant dans la lutte contre le tabagisme. L’anonymat, la possibilité d’obtenir rapidement une réponse sur sa situation personnelle et de pouvoir vérifier ses connaissances auprès de spécialistes sont des éléments expliquant le succès rencontré auprès des adolescents. C’est particulièrement important pour les interrogations sur le tabac: les campagnes de prévention s’adressent surtout aux non-fumeurs pour les convaincre de ne pas commencer, et les centres d’aide pour l’arrêt se concentrent surtout sur les fumeurs. La zone comprise entre ces deux extrêmes peut être couverte par une information et des conseils on-line ciblés sur les besoins et les questionnements des jeunes face au tabac.