juin 2013
Cristiana Fortini (psychologue) ; Jean-Bernard Daeppen (Service d’alcoologie, CHUV)
L’entretien motivationnel (EM) est un style de communication collaboratif, orienté vers un objectif et porte une attention particulière au langage autour du changement. Il vise à renforcer la motivation personnelle et l’engagement au changement par l’évocation et l’exploration des raisons de changer propres à la personne, dans une atmosphère d’acceptation et d’empathie (Miller & Rollnick, 2013). Il se définit aussi bien par son esprit que par ses outils spécifiques.
Depuis la publication du premier ouvrage sur l’entretien motivationnel (Miller & Rollnick, 1991), le nombre de publications scientifiques sur cette approche double tous les trois ans. Actuellement, il existe plus de 1200 publications, dont plus de 200 études contrôlées randomisées, reflétant une large variété de problèmes, professions, cadres cliniques et pays. D’une façon générale, la recherche montre que l’entretien motivationnel apporte des résultats bénéfiques (Miller & Rollnick, 2013).
Mais que ce soit dans un contexte de recherche ou de supervision clinique, comment s’assurer qu’il s’agit bien d’entretien motivationnel ? Et, si c’est le cas, comment déterminer dans quelle mesure il s’agit d’un bon entretien motivationnel ?
Le patient, le thérapeute, le contexte et l’interaction entre ces trois composants vont rendre la rencontre plus ou moins efficace (Miller & Rollnick, 2013). Pour évaluer cette rencontre, la description qu’en fera le thérapeute est le plus souvent incomplète ou incorrecte. De même, une simple observation peut amener l’observateur à focaliser sur le contenu et passer à côté de détails importants du processus. Avoir une structure pour cette observation peut dès lors s’avérer utile : coder une interaction est sans doute la meilleure façon de rentrer dans l’entretien et de comprendre ce qui s’y passe.
Alors comment procéder ? Faut-il enregistrer des entretiens ? En audio ou en vidéo ? Retranscrire ou non l’interaction ? De quelle longueur doit idéalement être le segment que l’on écoutera ? Quelles dimensions faut-il prendre en compte ? Comment les mesurer ? Va-t-on privilégier des dimensions globales ou des mesures plus spécifiques ?
Le MITI constitue un de ces outils de codage qui nous permet d’évaluer la compétence du thérapeute à mener un entretien motivationnel. Il a été développé aussi bien pour mesurer l’adhésion à l’entretien motivationnel dans le cadre d’études cliniques qu’en tant qu’outil de feedback structuré, visant à améliorer la pratique clinique. Il est issu du MISC (Motivational Interviewing Skills Code) (Moyers et al, 2003), outil de codage plus complexe qui étudie aussi bien le langage du thérapeute que celui du patient. Le MITI, quant à lui, se focalise exclusivement sur le thérapeute. La version la plus récente est la version MITI 3.1.1.
Vu que l’entretien motivationnel vise à faciliter le changement, il est essentiel d’identifier le comportement cible (arrêter de boire ou de fumer, faire du sport, prendre ses médicaments, etc.) pour effectuer un codage MITI.
En rapport avec ce comportement cible, le MITI permet d’une part d’attribuer des scores globaux selon diverses dimensions, codées sur des échelles de Likert à cinq points, et, d’autre part, d’identifier et de comptabiliser un certain nombre de comportements de l’intervenant.
Les scores globaux
Les scores globaux reflètent l’impression générale du codeur quant à l’aptitude de l’intervenant à atteindre le but mesuré par chaque dimension. L’interaction est codée selon 5 dimensions globales :
Les décomptes de comportements
Chaque intervention du thérapeute est divisée en « unités de pensées ». A chaque unité de pensée est attribuée un code, défini de façon élaborée dans le MITI :
Certains propos du thérapeute, tels que les salutations, des pensées incomplètes, des éléments de structure, etc. ne sont pas codés dans le MITI.
Une fois le codage effectué, des scores composites seront calculés (score d’esprit global, pourcentage de reflets complexes, pourcentage de questions ouvertes, rapport entre reflets et questions, pourcentage d’adhérence à l’EM) qui permettront de comparer la performance du thérapeute à des seuils de compétence établis.
Les deux composantes du MITI, scores globaux et décomptes de comportements, sont complémentaires.
Les scores globaux permettent d’apprécier l’entretien dans son ensemble, décrivant la qualité moyenne de l’interaction. Parce que les termes tels que « évocation », « collaboration » et les autres peuvent avoir des significations différentes d’une personne à l’autre, les auteurs du MITI proposent des descriptions détaillées de chaque score dans chacune des dimensions globales. Mais même avec de bonnes définitions, il reste difficile d’obtenir une bonne fidélité inter-juges (dans quelle mesure deux codeurs indépendants vont attribuer un même score). Dans un contexte de recherche, la formation des codeurs sera essentielle. Cette fidélité est plus facile à obtenir pour les décomptes de comportements qui analysent des compétences plus « techniques ».
Par ailleurs, les scores globaux, quoique importants pour avoir une impression générale d’un entretien et en évaluer l’esprit sous-jacent, sont moins utiles pour aider une personne à parfaire ses compétences. Comptabiliser la fréquence de comportements tels que questions, reflets, etc. permet de fournir un feedback précis et donner des pistes concrètes vers un perfectionnement des compétences. En effet, dire par exemple à quelqu’un de « faire davantage de reflets et poser de questions » est plus utile que lui dire d’être « plus empathique » (Miller & Rollnick, 2013).
Relevons que le MITI ne permet pas de détecter une utilisation particulièrement sophistiquée de l’entretien motivationnel et peut parfois engendrer une certaine frustration lorsque l’on souhaite l’utiliser comme tel. Certaines dimensions de l’EM ne sont pas capturées par cet outil et il est important d’en tenir compte. Par exemple, les décomptes de comportements ne tiennent pas compte de la qualité des questions ou des reflets (sont-ils pertinents et favorisent-ils l’évocation du discours-changement ?), ne relèvent pas les occasions ratées, etc. De façon similaire, le MITI ne tient pas compte du contexte de l’interaction (Moyers et al, 2005).
Pour des cliniciens, des formateurs et des superviseurs, le MITI représente un outil économique pour évaluer la compétence en entretien motivationnel. Les cliniciens peuvent l’employer pour s’auto-évaluer, il permet de déterminer l’efficacité de stratégies de formation ou de fournir du feedback précis à des personnes qui souhaitent parfaire leurs compétences en EM. Pour les chercheurs, le MITI constitue un outil de mesure de l’adhésion à l’entretien motivationnel pour des études cliniques qui ont recours à l’entretien motivationnel.
Malgré ses limitations, le MITI constitue un outil intéressant de codage pour évaluer dans quelle mesure une intervention donnée constitue un entretien motivationnel.