juin 2011
Philippe Vouillamoz, Directeur CAP LVT
Les jeunes vont bien. C’est bien ce que nous disent toutes les études menées auprès d’eux… Cette réjouissante réalité d’une jeunesse bien portante n’est cependant pas partagée par tous… Aujourd’hui, le seuil d’intégration dans le monde des adultes s’est progressivement élevé, laissant une petite partie des jeunes dans une situation difficile. Sur le terrain, on constate tous les jours le besoin de se préoccuper davantage de cette question. » (Carrasco K. & Savary J.-F., 2010, « L’intervention précoce, un concept qui favorise le travail en réseau. » Actualité sociale no 29).
Construire un environnement plus favorable au développement des jeunes, éviter que les problèmes existants ne s’aggravent faute de mesures d’aide proposées suffisamment tôt, voilà notre défi collectif. « Il existe aujourd’hui un large consensus chez les spécialistes pour chercher à intervenir dès les premiers signes de difficultés… Chercher à mieux repérer ces difficultés, aussi précocement que possible, et savoir qu’en faire: c’est le cœur du concept d’intervention précoce. » (Pia Oetker, OFSP).
Le concept d’intervention précoce que présente la brochure «IP» éditée par le GREA cherche à rapprocher prévention et thérapie afin d’augmenter leur complémentarité. Il s’agit d’envisager un continuum d’actions allant de la promotion d’un environnement favorable à la prise en charge à visée thérapeutique.
La démarche d’intervention précoce doit s’ancrer dans les pratiques des nombreux et divers acteurs sociaux. La brochure vise à créer de l’intérêt pour cette démarche, à stimuler l’implication des acteurs et à donner des recommandations générales pour sa mise en œuvre. Il ne s’agit toutefois pas d’un outil prêt à l’emploi, mais plutôt d’une vue d’ensemble qui doit permettre à chacun de se situer par rapport à la démarche d’intervention précoce.
Apporter des connaissances précises, répertorier des expériences existantes et efficaces pour élaborer des recommandations de mise en œuvre ou l’amélioration: en bref valoriser les bonnes pratiques. Il s’agit aussi d’apporter des éléments de discussion au débat pour éviter les dérives possibles.
Cette brochure s’adresse:
La démarche d’intervention précoce concerne l’ensemble de la société. La responsabilité éducative ne peut pas être déléguée aux seules familles ou aux professionnels spécialisés. Les ressources disponibles pour répondre de manière adéquate aux problèmes liés à l’adolescence doivent être mobilisées, dans une complémentarité entre les citoyens, la famille, le monde de l’éducation et les professionnels de la prévention et de la prise en charge socio-sanitaire. Il s’agit donc de renforcer à la fois les compétences des professionnels en lien avec la jeunesse et les compétences dans la communauté.
Le nombre d’acteurs potentiels impliqués nécessite un décloisonnement des savoirs, l’élaboration de repères et d’un langage commun. L’élaboration d’une vision capable de fédérer les différentes actions n’en est que plus fondamentale. Il nous revient en mémoire les discussions animées lors de l’élaboration de la brochure autour du choix à opérer entre les termes de dépistage, de détection ou de repérage.
L’élaboration d’un métamodèle romand nous a amenés à parler de nos pratiques déjà existantes. Nous avons fait la réjouissante constatation de l’existence de prestations diversifiées mais soutenues par des visions sensiblement proches.
L’Intervention Précoce est une démarche de promotion de la santé qui se soucie de promouvoir et renforcer les compétences existantes en soutenant les dynamiques communautaires. Une démarche au carrefour entre promotion d’un environnement favorable pour tous et prise en charge précoce des vulnérabilités individuelles. Elle met en œuvre des mécanismes de repérage et d’évaluation des situations de vulnérabilité. Au besoin, elle propose des offres spécifiques, adaptées et pertinentes d’accompagnement.
La dynamique d’intervention précoce doit se comprendre comme un processus global intégrant 4 phases distinctes comme l’indique la figure ci-dessous. Ces phases ne sont pas indépendantes entre elles, mais prennent tout leur sens dans les liens qu’elles ont les unes avec les autres, chacune s’inscrivant dans la précédente (subsidiarité).
La vulnérabilité doit être comprise comme une situation dynamique
On parle d’une personne en situation de vulnérabilité quand, à un moment donné, certains facteurs de risques, personnels ou contextuels, ne peuvent être contrebalancés par les facteurs de protection à sa disposition, augmentant ainsi la probabilité de connaître des difficultés par la suite.
Il y a un risque important de focaliser toute l’attention sur une difficulté spécifique (consommation de substances, délinquance, etc.), et, ce faisant, de perdre des éléments primordiaux de compréhension de la situation de vulnérabilité.
Il faut souligner que malgré le fait qu’ils puissent être en situation de vulnérabilité, tous les jeunes ne vont pas développer des comportements problématiques. Le destin du jeune n’est jamais déterminé par sa situation de vulnérabilité. Cette situation de vulnérabilité est dynamique et va évoluer selon les expériences de vie et les aides que le jeune peut recevoir.
La construction de réponses non seulement individuelles, mais aussi collectives
Il est essentiel que la collectivité puisse se mobiliser, réfléchir et agir face aux problématiques concernant les jeunes. Elle le fait déjà, mais souvent dans des réponses rapides et intuitives d’ordre réglementaire (ex: restriction ou interdiction de «botellòn»). Pour aller plus loin, un travail communautaire, impliquant les différents acteurs concernés (professionnels et non-professionnels), peut permettre une autre forme de réponse et accompagner les mesures de réglementation afin de favoriser leur application.
L’interdisciplinarité
Parce que la situation de vulnérabilité d’un jeune se traduit fréquemment par un cumul de difficultés dans diverses sphères de son existence, une équipe interdisciplinaire sera plus à même de mesurer une situation de vulnérabilité qu’un professionnel isolé.
Les professionnels pouvant être impliqués (enseignants, éducateurs, médecins, psychologues, infirmières, intervenants socioéducatifs, etc.) ont souvent des domaines de compétences et des modes de fonctionnement très variés, ce qui nécessite une bonne coordination. Dans cet esprit, un effort important doit être entrepris afin de garantir une culture et un langage commun entre professionnels de domaines différents.
Un travail en réseau indispensable
Dans l’idéal, le réseau s’étendra à la fois en direction des ressources naturelles du jeune (famille, pairs, quartier) et en direction des ressources institutionnelles (offre de traitements spécialisés, de formation, etc.). Un effort particulier doit être fait afin de déterminer les différents acteurs présents dans la situation d’un jeune, d’en définir les rôles et les implications, ainsi que les modalités de collaboration.
L’intervention précoce est une démarche sensible à manipuler avec soin. Elle comporte un risque de dérapage réel si l’on n’y prend garde. Elle présuppose donc de la finesse et du discernement, ainsi qu’une mise en œuvre dans un contexte responsable avec un projet social cohérent et des structures favorisant l’intégration des jeunes.
Le risque de la seule responsabilisation de l’individu
Il y a lieu d’être particulièrement attentif au danger de se focaliser uniquement sur l’aspect individuel en omettant la dimension collective. Ce risque est d’autant plus grand que les orientations actuelles prévalentes dans la politique (néo-)sociale aboutissent à l’individualisation des causes et des solutions aux problèmes. Lorsque l’individu est seul responsable de son sort, le collectif peut à loisir se dégager de ses responsabilités face à ses membres en difficulté.
Le risque de la stigmatisation
La démarche d’Intervention Précoce doit rester un outil socio-sanitaire de réponse aux situations de vulnérabilité des jeunes et non pas un facteur de stigmatisation et de ségrégation. La difficulté vécue par le jeune doit pouvoir être accueillie dans un contexte citoyen et professionnel capable d’éviter l’exclusion et la marginalisation d’un individu ou d’un groupe.
Le risque de la pathologisation
En considérant des individus comme «déficients», on court le risque de se décharger sur les spécialistes et d’institutionnaliser des prises en charge qui pourraient être gérées adéquatement à l’intérieur même de la communauté. C’est une question d’éthique très importante, c’est pourquoi il faut rester prudent et considérer le souci de repérer une situation de vulnérabilité avant tout comme une posture de questionnement centrée sur les situations spécifiques, individuelles ou collectives qui provoquent de l’inquiétude. Il ne s’agit pas d’envoyer en traitement tout jeune présentant la moindre difficulté.
Le risque de l’usage prématuré de la contrainte
La justice ou les autorités tutélaires peuvent également donner des mandats pour mener une évaluation (ou une prise en charge) auprès de jeunes ayant commis des délits ou s’étant mis en danger. Cette évaluation «sous contrainte» permet d’atteindre des jeunes pour lesquels les autres moyens de repérage n’ont pas fonctionné et dans des situations particulières, où ni l’entourage, ni l’école, ni la communauté ne sont à même de jouer leur rôle. Il est important que cette mesure ait toujours lieu comme solution de dernier recours et dans une perspective éducative. D’autre part, cela implique une bonne collaboration des professionnels de l’évaluation avec les instances judiciaires.
A titre d’exemple, il me vient en mémoire cette situation d’un jeune élève de 14 ans que sa maman soupçonnait de consommer du cannabis. Très préoccupée et bien intentionnée, elle s’en est ouverte auprès de l’enseignant titulaire qui s’en est ensuite référé à son directeur. Ce dernier a alors alerté le Tribunal des Mineurs. Dans cette situation, la pratique de la démarche d’intervention précoce aurait permis d’adopter une posture adéquate de questionnement pour approfondir les éléments repérés, afin d’opérer une différenciation entre une situation de vulnérabilité ou de réel danger et surtout d’évaluer la pertinence d’alerter les instances judiciaires à ce stade.
Le risque du repérage sans mesure d’aide à proposer
Si une grande partie des personnes en contact avec les jeunes savent en général fort bien reconnaître les signaux de vulnérabilité, il arrive en revanche fréquemment qu’ils ne sachent alors qu’en faire. Le besoin principal des adultes est donc de savoir comment réagir à une situation de vulnérabilité supposée. Le repérage est utile pour autant qu’il s’inscrive dans le cadre plus global de la démarche d’Intervention Précoce. Il est inutile de mettre en évidence une situation de vulnérabilité, et donc les lacunes d’un jeune, si l’on n’a rien à lui proposer. Pour palier à ce type de difficulté, il faut impérativement s’appuyer sur le réseau existant.
Dans le milieu scolaire
Les CAP poursuivent leur travail de prévention en milieu scolaire en s’appuyant sur un système de référents d’établissement scolaire. Nous avons voulu dépasser la seule offre d’animations préventives aux élèves pour proposer un coaching d’établissement. Nous assurons désormais un travail de proximité avec les établissements partenaires (40 cycles d’orientation et 25 établissements du secondaire post-obligatoire). Selon les besoins et les réalités propres à chaque site, il permet d’offrir des prestations adaptées sur 3 axes d’action:
Si plusieurs établissements scolaires se sont engagés dans des programmes construits (par ex. D+IP proposé par Radix), d’autres se sont montrés réfractaires à la mise en œuvre de tels programmes, mais ouverts à la détection et à l’intervention précoce.
Dans ces établissements, nous observons que la sensibilisation, la détection et les mesures éventuelles à envisager se construisent dans la durée au travers d’échanges informels et formels entre une direction et nos référents d’établissements scolaires. On constate ainsi que les directions, médiateurs scolaires et enseignants profitent de la présence de nos référents pour parler de certaines situations préoccupantes et investiguer les options possibles d’intervention.
C’est ainsi qu’un directeur et un titulaire de classe nous ont parlé récemment de leur réunion avec les parents d’un élève en baisse vertigineuse dans ses performances scolaires. L’échange s’est cristallisé autour des forts soupçons de consommation de cannabis et a achoppé stérilement sur la résistance et le déni du jeune. Notre référent d’établissement les a appuyés dans la réflexion: « Comment sortir de l’impasse et aborder la question par le bon bout ? ». C’est dans de tels moments que grandissent un savoir-faire et de bonnes pratiques au sein de l’école. C’est également à cette occasion que notre collaborateur a pu démontrer que l’orientation vers un service spécialisé était prématurée et que l’école et les parents avaient encore plusieurs atouts en main. Ainsi, pour une première phase du moins, le client de notre intervenant référent n’est pas le jeune élève mais le binôme école/ parents.
Avec les partenaires du réseau
Une culture du travail en réseau de longue date nous a également positionnés dans le travail avec les partenaires de:
la santé via une convention avec tous les hôpitaux du canton (convention RSV-LVT),
la justice des mineurs via un protocole de collaboration,
la (ré-)insertion professionnelle via l’engagement dans la collaboration interinstitutionnelle (convention CII et place au Comité cantonal de pilotage de la CII).
Ici également, nous avons privilégié un système de référence par région pour ces partenaires.
Le dernier projet en développement consiste en l’élaboration d’un processus d’intervention entre les services d’urgence des hôpitaux, les polices municipales et les CAP LVT. Principale cible: les jeunes hospitalisés pour des comas éthyliques et leurs familles.
Dans la formation d’adultes
Depuis de nombreuses années, nous sommes actifs dans le secteur de la formation d’adultes. Nous prenons part, entre autres, aux formations des médiateurs scolaires, des maîtres d’apprentissage, des étudiants HES santé-social, des assistantes en pharmacie, des cafetiers-restaurateurs…
Autant de personnes sensibilisées et vecteurs d’interventions précoces.
Dans le milieu festif
La stratégie des CAP LVT en matière de gestion des risques en milieu festif comprend une articulation entre une campagne d’information, des préventions scolaires, ainsi que des actions de terrain.
Avec Fiesta, Be my Angel et Poinzz, les CAP comptabilisent 127 actions menées au cœur des manifestations en 2010. Le label Fiesta est un concept de réduction des risques en milieu festif. Il est aujourd’hui fortement ancré en Valais. Il implique les partenaires communaux, les organisateurs ainsi que les services spécialisés qui investiguent ensemble la question de la gestion des risques en milieu festif.
Chaque manifestation labélisée Fiesta s’engage à mettre en place des mesures concrètes de renforcement de la sécurité et de protection de la jeunesse. « Pour que la fête soit belle du début jusqu’à la fin ».
Un mot clé: l’accessibilité
Pour que l’intervention précoce puisse s’enraciner dans les pratiques, l’accessibilité des services spécialisés par le réseau naturel, scolaire, professionnel, socio-sanitaire, juridique doit être développée. Mais l’accessibilité ce n’est pas seulement se mettre à disposition, c’est aussi proposer des actions de terrain et c’est encore et surtout aller vers pour faire connaissance, partager et trouver des opportunités d’associations de compétences.
Nous vérifions au quotidien que les procédures doivent pouvoir être soutenues par des liens beaucoup plus informels pour prendre vie. A ce titre nous participons activement au Réseau d’Entraide Valais (REVS) qui regroupe les acteurs intervenant autour de la souffrance humaine, qu’ils soient citoyens, bénévoles ou spécialistes reconnus.