avril 2001
Michel Bonjour
En Suisse, 300’000 personnes au moins sont dépendantes de l’alcool ou risquent de le devenir. Un dispositif diversifié existe en Suisse pour permettre aux personnes concernées de trouver un moyen d’être aidées ou soignées – dans des hôpitaux, des cliniques psychiatriques ou des centres spécialisés. 33’000 personnes par année suivent un programme en milieu résidentiel et/ou hospitalier. Parmi les consultations effectuées dans les centres ambulatoires, 60% d’entre elles concernent des problèmes d’alcool.
Cependant, des enquêtes sur l’alcoolisme ont démontré que seulement un tiers des personnes souffrant d’une grave dépendance à l’alcool ont consulté leur médecin et beaucoup moins encore s’adressent aux services sociaux ou à un psychiatre. De telles données sont valables pour Genève, mais également très certainement pour l’ensemble de la Suisse. Elles indiquent que le recours aux professionnels du réseau d’alcoologie doit être amélioré.
De par la complexité de la maladie et des problèmes liés à l’alcool -dans leurs différents aspects, causes et conséquences – il est maintenant reconnu qu’une chaîne thérapeutique, d’accompagnement, d’aide et de soins doit être multidisciplinaire et complémentaire dans ses diverses prestations. Les compétences médicales, psychiatriques et sociales sont généralement indispensables ensemble au bon déroulement du processus thérapeutique et d’aide. De par la spécificité même de leur intervention, les travailleurs sociaux y assurent le plus souvent un rôle déterminant de liaison du réseau autour du patient/client.
Il est vrai que la volonté de travailler en complémentarité entraîne des difficultés réelles et exige de chaque intervenant des efforts importants. Mais elle offre également de nombreux bénéfices, pour les patients/clients comme pour les soignants et intervenants sociaux: projets et propositions adaptés aux besoins de la personne, cohérence des interventions, complémentarité des compétences et des offres interprofessionnelles. Ceci tout en maintenant le patient/client au centre du dispositif thérapeutique, d’aide et de soins.
Le service téléphonique alco-line a été officiellement lancé en Suisse romande le 13 mars 2000, annoncé à la radio romande. Une campagne de promotion a débuté en automne 2000. Il regroupe toutes les institutions spécialisées en alcoologie de Suisse romande, au nombre de 25. Alco-line a pour but d’améliorer l’accessibilité au réseau d’alcoologie des cantons représentés au sein de l’association. Il n’est pas un nouveau numéro d’appel d’urgence. Desservis par les professionnels des institutions spécialisées, ses objectifs principaux sont:
Le 0848 800 808 est disponible du lundi au vendredi, de 10h00 à 18h00, pour les permanences francophones. Cette plage horaire semble adéquate quant aux besoins de la population et des professionnels. Elle est cependant soumise à évaluation pour d’éventuelles modifications ultérieures. Les institutions répondantes assurent en alternance une permanence téléphonique hebdomadaire selon un horaire négocié entre elles et selon une répartition régionale, cantonale et/ou intercantonale. Un serveur vocal permet à l’appelant d’être orienté sur la langue de son choix et diffuse un message indiquant les horaires des permanences.
Un classeur récapitulatif des activités, programmes et coordonnées des institutions est élaboré et remis régulièrement à jour – pour l’usage des professionnels répondant au téléphone. Des fiches techniques sont également fournies aux répondants afin de faciliter la procédure de réponse téléphonique ainsi que la prestation d’écoute, de conseil et d’orientation. Enfin, le coût d’un appel (pour l’appelant) correspond au tarif interurbain (ligne fixe) ou tarif interurbain + taxe radiocommunication (Natel).
Une évaluation qualitative et quantitative doit permettre de mesurer les résultats obtenus sur les plans interne et externe, et ceci de façon permanente (qualité de l’offre, besoin en formation des répondants, satisfaction des usagers, nombre d’appels, identification de problèmes techniques et de coordination, orientation des efforts de promotion et d’information, etc). Elle a pour but de vérifier si l’objectif général d’orientation des personnes confrontées à des problèmes d’alcool, de leurs proches et des professionnels concernés a été atteint.
L’évaluation du processus de fonctionnement d’alco-line porte sur la qualité du service, la cohérence des réseaux régionaux d’alcoologie, l’identification des problèmes techniques, l’importance des efforts de promotion à fournir et l’importance de la participation des institutions partenaires à des activités de formation. D’autre part, elle permet également d’apprécier les bénéfices indirects ressentis par les institutions partenaires.
Des activités de formation sont organisées selon les demandes, besoins constatés et lacunes à combler. Les répondants bénéficient d’une formation basée sur les qualités à promouvoir et les défauts à éviter dans cette activité. Cette formation permanente sera constamment réajustée en fonction des résultats de l’évaluation et des besoins constatés.
Des critères de qualité seront déterminés pour répondre à une haute exigence. Des experts non membres de l’association alco-line sont sollicités pour en évaluer la pertinence et la continuité.
Des activités de recherche sont envisagées afin de mieux répondre aux besoins de la population, d’améliorer les outils à disposition des professionnels de l’alcoologie, et augmenter les critères d’efficience. Des guide-lines bien ciblés pourront ainsi être élaborés.
Les institutions membres de alco-line mettent à disposition leurs ressources propres (infrastructures et personnel formé); le fonctionnement du service n’engendre ainsi pas de frais additionnels de personnel. Cependant, l’extension d’un tel service implique des ressources en termes de secrétariat et administration, de matériel et technique, de formation et d’évaluation. D’autre part, un effort important et continu de promotion du service doit être consenti. Il n’est pas demandé aux institutions d’imputer ces charges à leur budget d’exploitation. C’est pourquoi un budget prévisionnel a été établi pour 2001, sollicitant la participation financière solidaire des cantons concernés et prévoyant la contribution de fonds privés.
L’expérience-pilote Alco-ligne Vaud-Genève a démontré que le nombre d’appels limité était directement imputable aux moyens de promotion à disposition (un net accroissement des appels a été constaté dans les périodes pendant lesquelles une action de promotion a été entreprise). Un effort considérable des ressources dans ce domaine est donc indispensable. Une grande part du budget de fonctionnement est ainsi allouée à la promotion et au marketing du service alco-line, tant auprès de la population que des professionnels des champs social, médical et psychiatrique.
L’opération « containers à verres vides » constitue la pierre angulaire de la stratégie de communication 2001 pour alco-line. Cherchant un support visible, original et peu coûteux, cette campagne consiste à poser sur les containers à verres vides des autocollants géants représentant le logo alco-line, rappelant le numéro 0848 800 808. Des containers sont présents dans chaque commune, généralement situés dans des lieux de forts passages et jouissent d’une très bonne visibilité. Cette opération évoque d’une certaine manière le « cycle » de la bouteille, qui termine le plus souvent dans ces containers. Cette campagne a recueilli le soutien et l’appui des différents services de santé publique cantonaux et a permis de contacter toutes les communes de Suisse romande et des parties alémaniques de Fribourg et du Valais. Prenant son essor progressivement, elle devra certainement s’étendre sur quelques années pour déployer pleinement ses effets.
Nous sommes convaincus de la pertinence d’un tel concept. Son côté innovateur est source de créativité. Les différentes activités des membres de l’association (prestations de prévention, d’aide et de soins, de formation, d’évaluation, etc.) favorisent les rencontres et les échanges entre les institutions et professionnels du réseau romand et national d’alcoologie. La mise en commun de différentes expériences, l’analyse de la meilleure manière d’écouter, d’informer et d’orienter l’appelant sont riches d’enseignement; elles favorisent la découverte d’une autre manière de voir, de la complémentarité de ce que les autres font autant bien que moi, peut-être même mieux et en tous cas de manière différente ! Tout cela favorise beaucoup d’humilité, mais aussi de plaisir à développer des stratégies communes en partageant nos efforts.
Des synergies et des collaborations concrètes ont déjà été effectuées autour de la mise en place d’alco-line sur les plans romand (avec la partie alémanique de Fribourg et du Valais) et tessinois. Les services cantonaux de santé publique et de l’action sociale soutiennent la mise en place de ce projet de différentes manières. Les contacts sont entretenus avec le programme national alcool « ça débouche sur quoi » et plusieurs de nos partenaires alémaniques. Enfin, une synergie est envisagée, notamment entre l’association alco-line et la Société Suisse d’Alcoologie (SSA) dont les apports pourraient porter sur : contacts avec ses membres, fichier d’adresses, formation des répondants (aspects médicaux, psychiatriques et médico-légaux), recherche et guide-lines.
Tout cela nous apparaît pertinent et contribue aux soucis d’efficience exprimés sur les plans politiques et financiers. Les collaborateurs des organismes membres de alco-line doivent également trouver dans ce service un outil qui facilite leur travail et leur permet d’améliorer leur efficacité en termes de prestations offertes. Et bien sûr, cette expérience devra démontrer en quoi elle est surtout un plus au service de la population: nous ne répèterons jamais assez que l’objectif est bien que la personne ayant un problème d’alcool et son entourage restent au centre de nos préoccupations et bénéficient en Suisse romande de prestations alcoologiques de qualité, accessibles facilement et cohérentes dans leurs complémentarités. La population en difficulté avec l’alcool (ou autres produits engendrant la dépendance) nous incite à mieux coordonner nos efforts, viser la cohérence de nos prestations, et sortir de nos « chapelles » théoriques et structurelles. Et c’est là un défi passionnant à relever.