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Arrêter de jouer : sortir du placard et parler de son usage de substance
Carl Hart (Université de Columbia, traduit de l'anglais par Barbara Broers)
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Dépendances 72 - En parler (autrement): Arrêter de jouer : sortir du placard et parler de son usage de substance

avril 2022

Arrêter de jouer : sortir du placard et parler de son usage de substance

Carl Hart (Université de Columbia, traduit de l'anglais par Barbara Broers)

Un professeur d’une prestigieuse université américaine qui s’engage ouvertement pour combattre les clichés et les fausses représentations liées aux drogues illégales, c’est déjà beaucoup. Quand en plus il ose s’appuyer publiquement sur sa propre expérience de consommateur de drogue pour le faire, on ne peut plus que tirer son chapeau. C’est de Carl Hart qu’il s’agit, qui a accepté d’écrire un texte pour ce numéro de Dépendances.

Chaque fois que je me rends au Brésil, mon cœur saute de joie mais il se serre aussi un peu. J’y étais récemment dans le cadre de la promotion de mon nouveau livre 1. Dans plusieurs villes, le public réuni dans de vastes auditoires a ouvertement salué mes arguments en faveur d’une régulation des drogues. Même ceux qui n’étaient pas prêts à adhérer pleinement à ma recommandation de réglementer la vente et la consommation des drogues comme nous le faisons pour l’alcool et le tabac se sont engagés dans une conversation que l’on peut qualifier d’« adulte ». Cela a renforcé ma confiance dans la capacité des gens à faire preuve de logique et de raison lorsqu’ils discutent de questions liées aux drogues.

La veille de notre retour aux États-Unis, nous nous sommes rendus, ma femme Robin et moi, dans une pharmacie d’Ipanema, afin de passer un test de dépistage du COVID-19. Notre amie Julita, une brésilienne blanche, nous a accompagnés pour surmonter la barrière de la langue. Une jeune pharmacienne, elle aussi blanche, charmante et efficace, nous a aidés. Elle a rapidement commencé par remplir les formulaires nécessaires, notant, sans rien demander, correctement la race de Robin : blanche. Mais quand elle a dû répondre à la question de la race sur mon formulaire, elle s’est brusquement arrêtée comme un coyote pris dans les phares d’une voiture. Elle s’est alors tournée vers Julita et, d’un air penaud, lui a demandé en portugais : « Que dois-je écrire ? » La perplexité qui s’est affichée sur le visage de Julita a suscité un complément préventif : « Vous savez, il y a des gens qui n’aiment pas être appelés Noirs ».

Au Brésil, comme dans beaucoup d’autres pays, la race est un sujet délicat et sensible, avec des ramifications sociales considérables. Pour un étranger, les lignes qui délimitent les frontières raciales semblent à la fois floues et inflexibles. Par exemple, une grande partie de la population a des ancêtres indigènes, africains et européens. Ces personnes peuvent facilement être classées comme métisses mais sont souvent considérées comme noires, surtout si elles sont pauvres. D’ailleurs, les Brésiliens noirs représentent plus de la moitié de la population mais leur statut tout en bas de la hiérarchie raciale du pays est évident et sans équivoque. A l’inverse, la minorité blanche est fermement positionnée au sommet de celle-ci.

D’après Julita, la question de la pharmacienne était motivée par une gentillesse un peu tordue. Elle avait remarqué que j’étais un touriste américain et peut-être quelqu’un d’important. Naturellement, elle s’est alors dit que je ne voudrais pas être inclus dans l’un des groupes les plus dénigrés du pays : les Noirs. Elle m’a généreusement offert la possibilité de m’identifier comme autre chose que Noir. Dans son esprit, elle me rendait service. Elle me permettait de me retirer tranquillement dans un « placard racial » sans conséquences et peu importe que mes origines raciales n’aient rien d’ambigu : je suis indubitablement noir. C’est d’ailleurs précisément ce que je lui ai communiqué.

Cet incident m’a fait réfléchir aux points communs entre les groupes marginalisés, incluant les personnes qui consomment des drogues. Il m’a également fait comprendre pourquoi il est important de m’aligner publiquement avec les opprimés. Les histoires que l’on raconte sur ces groupes sont souvent simples, inadéquates et tout simplement fausses. Un stéréotype omniprésent sur les jeunes hommes noirs brésiliens est qu’ils sont des trafiquants violents et des consommateurs de drogue, des âmes malades, qui sont souvent sommairement rejetées. Ces représentations tendancieuses s’appuient souvent sur une rhétorique politique impitoyable et se traduisent par des politiques et des pratiques draconiennes, ce qui entraîne une déshumanisation supplémentaire.

Quel genre de personne serais-je si je ne me levais pas pour défendre les personnes marginalisées ? Cette question devient encore plus pressante lorsque je considère ma propre expérience en tant qu’homme noir aux États-Unis, car elle reflète la situation à laquelle sont confrontés aussi mes frères brésiliens. Les autorités des deux pays savent utiliser les problèmes liés à la drogue pour dénigrer et soumettre les pauvres et les Noirs. Je ne peux pas plus nier ma consommation de substances que ma condition de personne noire. Se cacher de l’un ou de l’autre est un abandon de ma propre humanité et de celle des autres. Ce sont des personnes qui, tout comme moi, essaient simplement de vivre une vie digne d’être vécue.

Je me souviens du moment où j’ai décidé de sortir du placard au sujet de mon usage de substances. Ce n’était pas une décision prise à la légère. À l’époque, je commençais ma deuxième année en tant que chef de département à l’Université de Columbia et mon fils cadet n’avait que seize ans. Je savais que le simple fait d’être identifié comme consommateur de drogues pourrait avoir de graves répercussions sur ma carrière, mais aussi sur mon enfant.

Pourtant, en juillet 2017, dans le cadre des procédures de préparation d’une coloscopie, on m’a posé des questions de routine sur ma consommation de drogues. J’avais déjà reconnu une consommation peu fréquente d’alcool et de cannabis. Puis, l’infirmière m’a demandé : « Est-ce que vous consommez d’autres drogues ? ». « Devrais-je être honnête ? », me suis-je demandé. Je m’étais toujours considéré comme un homme honnête mais le poste de chef de département s’est avéré être un véritable apprentissage sur la différence flagrante entre la perception de soi et la réalité. Ce rôle m’obligeait, par exemple, à jouer le jeu académique du recrutement. J’ai négocié avec de potentiels candidats dans l’espoir de les faire venir à Columbia. Malgré le fait que presque tous avaient postulé pour un emploi chez nous – et certains avaient même reçu une offre de notre part – beaucoup n’avaient aucune intention de quitter leur poste actuel. Ce n’était qu’un jeu. Il s’agissait d’obtenir une offre d’emploi à Columbia qui leur permettrait d’obtenir plus d’argent, plus d’espace pour leur laboratoire ou autre chose dans leur propre institution. C’était un jeu rébarbatif, et malhonnête de surcroît. Mais, j’ai participé à ce jeu, même si j’étais réticent.

Maintenant, on me demandait de jouer à un autre jeu : le jeu du mensonge sur sa consommation de substances. On s’attendait à ce que je mente sur ma consommation actuelle de drogues, surtout s’il s’agissait de substances « mauvaises » comme l’héroïne ou la méthamphétamine. Une consommation passée de drogues, en revanche, pouvait être excusée et révélée en toute honnêteté. Il est par exemple parfaitement acceptable de reconnaître qu’une consommation antérieure d’héroïne fut une « erreur de jeunesse ». Il est également acceptable, et même préférable dans certains cercles, d’avoir eu, disons, un problème d’héroïne, mais de s’en être débarrassé, à condition qu’on prêche ensuite l’évangile de « l’horreur de l’héroïne ».

Le jeu du mensonge sur la drogue nous oblige souvent à accepter des notions qui n’ont aucun fondement. L’héroïne, par exemple, est censée être interdite aux États-Unis en raison de ses dangers inhérents. Selon cette logique, la consommation d’héroïne est intrinsèquement plus dangereuse que d’autres activités légales, notamment l’usage du tabac ou des armes à feu. Or, rien qu’aux États-Unis, on dénombre chaque année plus de 450 000 décès attribués liés au tabagisme et plus de 40’000 décès liés aux armes à feu. En 2017, les décès liés à l’héroïne ont atteint un pic historique avec un peu plus de 15’000 cas 2. Ce nombre est donc bien inférieur à ceux des décès liés au tabac et aux armes à feu. Il est également important de souligner ici que l’expression « décès liés à l’héroïne » ne signifie pas que l’héroïne était la cause du décès. Elle signifie simplement qu’elle a été trouvée chez la personne décédée mais, dans la plupart des cas, on retrouve de multiples substances dans le corps du défunt, et les concentrations de ces drogues ne sont souvent pas déterminées. Pour être clair, je ne préconise pas de nouvelles restrictions sur le tabac ou les armes à feu. Je veux juste montrer que les histoires que nous racontons sur la consommation d’héroïne comme étant intrinsèquement plus dangereuse que la consommation de tabac ou d’armes à feu ne sont pas fondées sur des preuves.

De retour dans la salle d’examen pour la coloscopie, l’infirmière attendait ma réponse malhonnête. Je ne pouvais pas le faire. J’étais fatigué. Fatigué d’être malhonnête. Je ne pouvais plus rester silencieux face aux récits infantilisants sur les consommateurs de drogues qui les caricaturent presque exclusivement comme des âmes irresponsables et troublées. J’ai donc révélé toute l’étendue de ma consommation actuelle de drogues, qui comprenait, entre autres, de la cocaïne, de l’héroïne et de la methamphétamine. Une fois que l’infirmière a surmonté sa surprise initiale, j’ai passé ma coloscopie sans problème.

Je suis conscient que le fait de révéler publiquement ma consommation de drogues peut susciter de l’hostilité chez certaines personnes. Les profiteurs de la guerre à la drogue peuvent même essayer de salir ma réputation, en affirmant que je suis un « addict » simplement parce que je déclare consommer une ou plusieurs drogues diabolisées. Il s’agit là d’un stratagème désespéré. Je n’ai jamais répondu aux critères de la dépendance ou de l’addiction, mais ce fait n’est pas pertinent pour évaluer la solidité des arguments avancés. Nous ne qualifierions pas une personne d’« alcoolique » simplement parce qu’elle boit de l’alcool de temps en temps.

La consommation de drogue n’est pas synonyme de dépendance. Pour répondre à la définition la plus largement acceptée de la dépendance – celle du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition (DSM-5) –, une personne doit avoir des conséquences négatives de sa consommation de drogue. En outre, la consommation de drogue doit interférer avec des fonctions vitales importantes, telles que l’éducation des enfants, le travail et les relations intimes.

Un autre fait important est que la plupart des consommateurs de drogues ne deviendront pas dépendants. Cela concerne 70 à 90 % des personnes qui consomment, même les drogues les plus décriées comme le crack ou l’héroïne. Par conséquent, si la plupart des consommateurs d’une drogue donnée ne deviennent pas dépendants, il serait irrationnel d’accuser la drogue de provoquer une dépendance. Ce serait comme blâmer la nourriture pour créer une dépendance alimentaire.

En fin de compte, je sais que j’ai fait le bon choix en sortant du placard. Bien sûr, c’est risqué, voire parfois effrayant. Mais il y a toujours des risques quand on se bat pour redresser les torts de la société. Je plains les personnes, en particulier celles qui prétendent être des alliées, qui n’agissent pas face à l’injustice simplement parce qu’il y a des risques. Rester dans le secret de ma consommation de drogues – ou de toute autre chose qui compte – est lâche et déshonorant. Je ne veux pas participer à de tels jeux. Il y a trop d’enjeux pour trop de gens.

72_2_Arreter-de-jouer-ssortir-du-placard-et-parler-de-son-usage-de-substance_-Carl-Hart_Dependances_2022.pdf
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  1. Carl Hart. Drug use for the grown-ups : Chasing liberty in the land of fear. Penguin Books, 2021.[↑]
  2. Scholl L, Seth P, Kariisa M, Wilson N, Baldwin G. Drug and Opioid-Involved Overdose Deaths — United States, 2013–2017. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2019;67:1419–1427. Disponible en ligne : https:// www.cdc.gov/mmwr/volumes/67/wr/mm675152e1.htm[↑]

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