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Politique cannabis : ni diabolisation, ni banalisation

Robert Hämmig, Jean-Félix Savary, Markus Theunert

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01.09.2008

Article paru dans le Bulletin des médecins suisses & Actualité sociale. Il est signé par les représentants des 3 plus grandes associations des professionnels des addictions.

Fichier(s) joints

Hämmig, R., Savary, J.-F. & Theunert, M. (2008). Politique cannabis : ni diabolisation, ni banalisation. Bulletin des médecins suisses 89 :17 & Actualité sociale n° 16

Politique Cannabis : ni diabolisation, ni banalisation

Texte :

Robert Hämmig, président de la société suisse de médecine de l’addiction

Jean-Félix Savary, secrétaire général du GREA

Markus Theunert, secrétaire général du Fachverband Sucht

L’initiative « pour une politique raisonnable en matière de chanvre protégeant efficacement la jeunesse » soumise à votation populaire en automne va dans le sens du modèle proposé par le Conseil fédéral en 2001 et bénéficie du soutien de la majorité des professionnels concernés. Il s’agit pour l’essentiel de dépénaliser la consommation de cannabis pour les adultes, de renforcer le contrôle chez les mineurs et de tolérer, sous certaines conditions, un marché réglementé. Cette position est souvent mal comprise par l’opinion publique, car elle est vue comme une banalisation inacceptable du phénomène. Cependant, c’est bien une logique de santé publique qui sous-tend le modèle soumis au vote.

Réglementer pour mieux contrôler l’accès aux produits et réduire les risques

Le cannabis n’est pas une substance inoffensive. Si l’usage reste à moindre risque pour la majorité des consommateurs, d’après les classifications internationales, la consommation semble problématique pour un consommateur sur vingt. Une politique sérieuse et efficace doit permettre à cette frange d’accéder précocement à des soins appropriés. Le groupe de ces consommateurs « à risque » doit faire l’objet de toute notre attention. Des traitements efficaces existent et la grande majorité des jeunes qui sont pris en charge pour surconsommation de cannabis arrivent à éliminer complètement ce problème. Cependant, plus on intervient tôt, plus les chances de succès sont importantes. C’est pour cela que les professionnels de la dépendance privilégient actuellement les mesures qui favorisent l’intervention précoce.

Les buts d’une politique cannabis de santé publique peuvent être formulés ainsi :

- Diminuer la consommation dans la population générale

- Retarder l’âge de la première consommation chez les jeunes

- Réduire la nocivité des produits

- Identifier précocement les jeunes à risque et les besoins d’intervention auprès de ce groupe.

C’est donc vers un contrôle renforcé du marché qu’il faut s’acheminer. Or, aujourd’hui, le marché noir peut être assimilé à une situation de totale libéralisation. Vu le nombre important de consommateurs, le marché a atteint une telle dimension qu’il échappe à tout contrôle. Cette situation enlève tout moyen d’action à l’Etat. Les profits importants qu’en retirent les réseaux mafieux rendent la bataille inégale.

Il convient donc de faire passer ce marché sous contrôle étatique, en réglementant très strictement l’accès à ce produit pour les consommateurs adultes et en concentrant les efforts de la répression sur les réseaux de vente illégaux qui pourraient subsister (notamment en direction des mineurs).

Depuis le début des années 90, plus de 30'000 infractions liées au cannabis sont dénoncées chaque année. Cependant, selon les statistiques officielles, 10% seulement concernent les mineurs, à savoir deux fois moins que la catégorie des plus de 35 ans. On peut légitimement questionner les priorités d’un système qui concentre ses efforts sur les « vieux consommateurs », au détriment d’une meilleure protection de la jeunesse. La poursuite des consommateurs adultes génère des coûts de plusieurs millions qui viennent manquer à la répression des réseaux mafieux, à la prévention et aux consultations. Face aux problèmes de développement que peut poser le cannabis, la priorité doit se situer clairement chez les mineurs. 

Prohibition inefficace

Il n’existe pas de données récentes prouvant que la prohibition du cannabis réduit la prévalence de sa consommation. La comparaison internationale ne montre pas de corrélation entre une législation sévère et un faible taux de consommation. Par contre, la relation avec la nocivité des produits est prouvée. Quand le risque augmente, les réseaux mafieux doivent contrebalancer ce coût supplémentaire en augmentant les produits de coupe. Par ailleurs, on constate que la répression accrue de ces dernières années sur le marché indigène de cannabis n’a eu que des effets très limités. En effet, le chanvre domestique a vite été remplacé par du chanvre importé, comme le montre les saisies aux frontières de produits dérivés du cannabis, en hausse de plus de 800% en 2007 selon l’Administration fédérale des douanes.

La prohibition du cannabis a d’autres effets indésirables :

- Le contrôle des produits est impossible et le taux de THC ne peut pas être limité. Les consommateurs ne sont pas protégés. Ils manquent d’informations sur ce qu’ils consomment.

- Des produits de coupe (ex : débris de verre) et des pesticides nocifs (ex : DDT) sont inhalés par les consommateurs.

- Les marchés du cannabis, de la cocaïne et de l’héroïne s’entrecroisent et le marché noir est aux mains de réseaux criminels internationaux.

- Les consommateurs à problèmes, jeunes ou adultes, ne peuvent pas aborder leurs difficultés sans la peur d’une sanction : la consommation de cannabis est cachée, la reconnaissance précoce affectée et le risque de la chronicisation de la consommation s’accroît. 

Un choix mesuré et pragmatique

Le bilan de la politique répressive actuelle est visiblement négatif. L’interdiction cause davantage de préjudices que de bénéfices. La dépénalisation de la consommation et le passage du marché noir vers un marché régulé sont souhaitables d’un point de vue social, médical et juridique. Accepter l’initiative « chanvre » permet d’acquérir une base légale qui appréhende véritablement la problématique du cannabis, en lieu et place d’une simple interdiction. La consommation élevée de cannabis en Suisse requiert toute notre attention, sans idéologie et sans banalisation. Se cacher derrière des interdits qui peinent à être respectés n’est pas une réponse suffisante pour notre jeunesse.

 

Auteur(s)
Robert Hämmig, Jean-Félix Savary, Markus Theunert