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La politique des 4 piliers enfin acceptée par le National: le pragmatisme triomphe de l’idéologie !

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01.03.2007

Article pour Actualité sociale de Jean-Félix Savary traitant du pragmatisme de la politique des 4 piliers.

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Savary, J.-F. (2007). La politique des 4 piliers enfin acceptée par le National: le pragmatisme triomphe de l’idéologie ! Actualité sociale n° 7

 

La politique des 4 piliers enfin acceptée par le National :le pragmatisme triomphe de l’idéologie !

 

Par Jean-Félix Savary

Secrétaire Général, Groupement Romand pour l’Etudes de l’Alcoolisme et des Toxicomanies (GREAT)

Après une vingtaine d’années de mise en oeuvre sur le terrain, la politique dite des « quatre piliers » (répression, prévention, traitement et réduction des risques) a enfin été acceptée par le conseil national le 20 décembre 2006. Après des années de guerres idéologiques et politiques, la raison triomphe enfin. La recherche et le pragmatisme prennent le pas sur la morale. Réjouissant pour l’avenir. A noter que les Romands, traditionnellement les plus conservateurs en la matière, ont cette fois-ci massivement soutenu le texte.

La gestion publique des substances psychotropes est un des enjeux majeurs dans nos systèmes politiques contemporains. Les questions éthiques et morales de la consommation de produits, tout comme leur impact socio-économique et sécuritaire, propulsent souvent la « politique drogues » sur le devant de la scène. Débat passionnel avant tout, il intéresse tout le monde. Chacune et chacun s’est formés un avis selon sa propre expérience, qui a souvent acquit un caractère d’évidence. Dans ce cadre, le positionnement du citoyen en face de la question drogue ne peut être dissocié de sa propre représentation en tant que membre d’une communauté.

Les politiciens ne s’y trompent pas et certains y ont toujours vu une opportunité pour construire un discours dur et protecteur, rassurant pour la société, au détriment d’une volonté réelle de s’attaquer aux vrais problèmes. En soulignant la responsabilité des parents, ou en vantant les mérites d’une prévention (si rarement financée), on s’en tire à bon compte. On en resterait à une aimable discussion politique si ces questions n’étaient pas un des défis majeurs de santé publique, de sécurité et de droits humains de nos sociétés. Les problèmes posés par les drogues continuent à se développer, à muter, à changer de formes. Aujourd’hui, les indicateurs de consommation augmentent pour tous les produits chez les jeunes. 

Alors que faire ?

La réponse fut longtemps basée sur la seule prohibition. Produit nocif pour l’individu et la société, la drogue doit être éradiquée de l’espace social pour protéger ses membres. Cette approche, qui a pour elle la simplicité, n’a malheureusement jamais pu juguler le phénomène. Pire, elle crée de nouveaux fléaux, comme le développement de réseaux criminels internationaux, la progression de la délinquance (liée à l’acquisition de produits sur le marché illégal) et la dégradation importante des conditions socio sanitaires des consommateurs. Le problème reste donc entier. Cependant, devant la détresse humaine, l’attente est grande pour que quelque chose soit entrepris.

Avec l’explosion de la consommation d’héroïne et l’apparition du SIDA dans les années 80, le réseau socio sanitaire va progressivement changer de vision sur la drogue. Comme le jugement « moral » ne permet pas d’entrer en relation avec la plupart des toxicomanes, une nouvelle vision va apparaître au côté de l’objectif premier de n’accepter aucune consommation de produits. Celle-ci, moins ambitieuse, mais plus centrée sur la réalité de la personne, va aller à la rencontre de l’usager de drogues. Elle va tenter de développer des réponses sur le terrain, en acceptant de venir en aide à la personne là où elle se trouve, y compris si celle-ci est en phase de consommation active. Comme nous n’arrivons pas à parvenir à une « société sans drogues », il faut concentrer nos forces sur la lutte contre les conséquences négatives de sa consommation. Le jugement moral passe au second plan et laisse la place à une approche plus réaliste.

Les premières mesures prises dans cet esprit remontent à la fin des années 80. D’abord soutenue par des villes fortement concernées (Zurich, Bern), elle a petit à petit bénéficié d’un soutien au niveau fédéral où elle sera conceptualisée dans un nouveau modèle : la politique des 4 piliers était née. Elle va réunir dans une même loi le traitement (sortir des problèmes de consommation), la prévention (prévenir l’apparition de problèmes), la réduction des risques (réduire les dommages chez les consommateurs en phase active) et la répression (contrôle du marché). En se déclinant en fonction des besoins de chaque public-cible, elle permet d’assurer les droits de la majorité des personnes aux soins, même si celles-ci sont en situation irrégulière. Ce qui d’emblée a fait  sa force, c’est sa capacité à faire coexister sur le terrain des logiques apparemment contradictoires.

Ceci demande une bonne dose de pragmatisme et une vraie volonté de collaborer de manière inter sectorielle et inter disciplinaire. Alors que la réduction des risques vient en aide aux personnes en consommation active, la répression pénalise ces mêmes personnes pour consommation. Le défi majeur de cette politique est donc de conserver une « sainte alliance » entre toutes les forces concernées par le marché des drogues. Solution complexe à un problème complexe, elle demeure forcément tributaire de la volonté des uns et des autres de collaborer autour d’un objectif commun : réduire les conséquences dommageables pour l’individu et la société de la consommation de drogues.

Cependant, même si les données issues des évaluations en Suisse (ainsi que la littérature internationale), viennent conforter cette nouvelle perspective, les choses ne pouvaient être aussi simple au niveau politique. Adopté en 1994 par le conseil fédéral (en vigueur depuis près d’une décennie sur le terrain), il aura encore fallu attendre plus d’une douzaine d’années pour que la loi soit changée. Ce n’est pourtant pas faute d’en avoir discuté. Deux initiatives fédérales, trois discussions au National, ainsi qu’un nombre impressionnant de motions et d’interpellations n’y auront rien fait. La politique « drogue » reste un enjeu sensible sans majorité politique. Comme souvent dans ces cas, la pire des solutions est choisie, à savoir « ne rien faire ».

Au lendemain de la dernière reculade du Parlement (décision de non-entrée en matière sur le projet soumis au vote le 14 juin 2004), une coalition s’est reformée avec une conviction forte : ancrer enfin le modèle des 4 piliers dans la loi. Par la constitution d’une alliance très large, allant de la police aux enseignants en passant par le personnel soignant, elle aura su enfin renverser la vapeur, grâce à un discours pragmatique basé sur l’évidence scientifique plutôt que morale. L’adoption de la politique des 4 piliers par le conseil national le 20 décembre 2006 vient enfin clore ce processus de transformation de notre politique drogues. Alors que l’idée des quatre piliers devient hégémonique en dehors de nos frontières, le Parlement a pu finalement entériner par une forte majorité cette politique qu’il a si longtemps combattue. C’est pour le réseau professionnel addictions et toutes les personnes concernées (proches, usagers) un véritable soulagement et la reconnaissance de la légitimité d’un combat que nous menons depuis une vingtaine d’année. 

 

Auteur(s)
Jean-Félix Savary