En 2023, le marché de l’opium subit une grande restructuration, avec de possibles impacts sur le marché européen

Ce mardi 12 décembre, l’ONUDC a publié un rapport sur la situation de l’opium dans le Triangle d’or, où la Birmanie est devenue le premier producteur mondial en 2023 et où la production afghane est au plus bas. Cette nouvelle va dans le sens de certains scénarios avancés par l'ONG Transform à l'été 2023 suite à l'interdiction de culture mise en place en Afghanistan en 2022.


Cet été, l'ONG Transform avait publié un papier sur l'éventuel impact sur le marché européen que l'interdiction de production d'opium mise en place par les talibans en Afghanistan pourrait causer, et dont le GREA avait déjà parlé dans une news en juillet 2023.

Transform envisageait trois scénarios principaux pour le marché de l'héroïne suite à l'interdiction:

  1. l’interdiction de la culture de pavot par les talibans n’est pas maintenue;
  2. l’interdiction est maintenue, la production est déplacée dans d’autres régions/pays;
  3. l’interdiction est maintenue, la production déplacée ne répond pas à la demande, et les opioïdes synthétiques (ainsi que d’autres drogues) remplissent le vide du marché.

Le rapport de l'ONUDC publié le 13 décembre dernier semble montrer que la direction tend, à l'heure actuelle, quelque part entre les scénarios 2 et 3. 

En effet, d'après le rapport mondial sur les drogues 2023 de l'ONUDC, la production mondiale d'opium s'élevait à quelque 7800 tonnes en 2022. En combinant les chiffres de la production afghane donnés dans le rapport sur la culture de l'opium 2022, ceux de l'étude publiée en novembre 2023, et finalement les chiffres de la production birmane donnés dans ce rapport, nous pouvons, à l'aide de quelques calculs, tenter de mettre en lumière le vide créé dans le marché en 2023:

  • En Afghanistan, la production semble être passée de 6200 tonnes en 2022 (233'000 hectares cultivés environ pour un rendement de 26.7kg/ha) à 333 tonnes en 2023 (10'800 hectares cultivés pour un rendement d'environ 30kg/ha). Cela représente un passage d'une moyenne de 350 à 580 tonnes d'héroïne de qualité d'exportation (50-70% pureté) en 2022, contre une moyenne de 24 à 38 tonnes en 2023.
  • En Birmanie, la production semble être passée de 793 tonnes en 2022 (40'100 hectares cultivés pour un rendement de 19,8kg/ha) à 1080 tonnes (47'100 hectares cultivés pour un rendement de 22,9kg/ha).

Sur ces deux pays uniquement, la baisse de production d'opium semblerait donc être d'environ 5'580 tonnes en 2023, soit une baisse de plus de 70% de la production mondiale. 

En Birmanie, l’augmentation non seulement de la surface cultivée, mais aussi de la rentabilité, reflète des pratiques de culture plus sophistiquées qu'auparavant et des investissements dans des systèmes d’irrigation qui donnent au pays sa plus grande production d’opium depuis 2001. En 2002, 80’000 hectares étaient occupés par la culture de pavot, mais les rendements étaient nettement plus bas (10kg/hectare). 

De plus, le rôle des opiacés dans l’économie birmane grandit, tout comme le prix d’achat du produit directement aux agriculteurs, qui a augmenté de 60% entre 2022 et 2023. Dans un pays à l’économie fragile, cette augmentation combinée à l’absence d’infrastructures adaptées (services publics, routes, écoles) ou d’accès à des marchés dans les zones isolées risque d’amener un nombre croissant d’agriculteurs à percevoir la culture de pavot comme une alternative plus viable aux cultures licites.

Cette expansion de la production d’opium en Birmanie va de pair avec une augmentation de la production des drogues de synthèse qui ne cesse d'accélérer si on se base sur les saisies effectuées (principalement des métamphétamines et de la kétamine), et participe à une économie illicite grandissante dans le Mékong, qui fait converger le trafic de drogues, le blanchiment d’argent et les activités criminelles en ligne (casinos et fraudes, principalement). Cette convergence génère de juteux profits pour les groupes du crime organisé dans la région.

L’ONUDC, toujours dans son rapport, appelle à ce que l’Asie du Sud-Est s’allie pour trouver des solutions aux menaces qui sont aggravées par la crise en Birmanie, où les agriculteurs sont coincés entre l’insécurité et les difficultés économiques, et où la culture de l'opium risque de s'imposer comme plus viable si aucune alternative ne leur est proposée. Un travail entre l’ONU et ces communautés birmanes est donc essentiel.

Du côté du marché européen, Transform explique que les effets d'une interdiction comme celle instaurée en Afghanistan mettent environ 18 mois pour être perçus, notamment à travers la baisse de pureté de l'héroïne. Si elle se maintient, une telle modification du marché risque d'amener un passage à d'autres types de drogues, parfois plus dangereuses, et les pays affectés doivent urgemment commencer à planifier leurs réponses à un tel changement, tant au niveau national que régional. Pour ce faire, Transform propose les pistes suivantes:

  • Une réponse d'urgence de la santé publique en déployant des outils de réduction des risques établis et novateurs pour cibler les groupes à risque
  • Accroître la surveillance à travers une combinaison d'informations obtenues par le biais des systèmes de drug checking, de système d'alerte précoce, de la douane et de la police
  • Une extension de l'éducation sur la question de la réduction des risques, des accompagnements et un meilleur accès aux services d'accompagnement pour les personnes arrêtées en possession de drogues pour leur propre usage.

La menace de la criminalisation a montré que les personnes concernées tendent à ne pas demander de l'aide. Il est donc central qu'une réponse adaptée soit proposée par les pays touchés.