Cet été, l'ONG Transform avait publié un papier sur l'éventuel impact sur le marché européen que l'interdiction de production d'opium mise en place par les talibans en Afghanistan pourrait causer, et dont le GREA avait déjà parlé dans une news en juillet 2023.
Transform envisageait trois scénarios principaux pour le marché de l'héroïne suite à l'interdiction:
Le rapport de l'ONUDC publié le 13 décembre dernier semble montrer que la direction tend, à l'heure actuelle, quelque part entre les scénarios 2 et 3.
En effet, d'après le rapport mondial sur les drogues 2023 de l'ONUDC, la production mondiale d'opium s'élevait à quelque 7800 tonnes en 2022. En combinant les chiffres de la production afghane donnés dans le rapport sur la culture de l'opium 2022, ceux de l'étude publiée en novembre 2023, et finalement les chiffres de la production birmane donnés dans ce rapport, nous pouvons, à l'aide de quelques calculs, tenter de mettre en lumière le vide créé dans le marché en 2023:
Sur ces deux pays uniquement, la baisse de production d'opium semblerait donc être d'environ 5'580 tonnes en 2023, soit une baisse de plus de 70% de la production mondiale.
En Birmanie, l’augmentation non seulement de la surface cultivée, mais aussi de la rentabilité, reflète des pratiques de culture plus sophistiquées qu'auparavant et des investissements dans des systèmes d’irrigation qui donnent au pays sa plus grande production d’opium depuis 2001. En 2002, 80’000 hectares étaient occupés par la culture de pavot, mais les rendements étaient nettement plus bas (10kg/hectare).
De plus, le rôle des opiacés dans l’économie birmane grandit, tout comme le prix d’achat du produit directement aux agriculteurs, qui a augmenté de 60% entre 2022 et 2023. Dans un pays à l’économie fragile, cette augmentation combinée à l’absence d’infrastructures adaptées (services publics, routes, écoles) ou d’accès à des marchés dans les zones isolées risque d’amener un nombre croissant d’agriculteurs à percevoir la culture de pavot comme une alternative plus viable aux cultures licites.
Cette expansion de la production d’opium en Birmanie va de pair avec une augmentation de la production des drogues de synthèse qui ne cesse d'accélérer si on se base sur les saisies effectuées (principalement des métamphétamines et de la kétamine), et participe à une économie illicite grandissante dans le Mékong, qui fait converger le trafic de drogues, le blanchiment d’argent et les activités criminelles en ligne (casinos et fraudes, principalement). Cette convergence génère de juteux profits pour les groupes du crime organisé dans la région.
L’ONUDC, toujours dans son rapport, appelle à ce que l’Asie du Sud-Est s’allie pour trouver des solutions aux menaces qui sont aggravées par la crise en Birmanie, où les agriculteurs sont coincés entre l’insécurité et les difficultés économiques, et où la culture de l'opium risque de s'imposer comme plus viable si aucune alternative ne leur est proposée. Un travail entre l’ONU et ces communautés birmanes est donc essentiel.
Du côté du marché européen, Transform explique que les effets d'une interdiction comme celle instaurée en Afghanistan mettent environ 18 mois pour être perçus, notamment à travers la baisse de pureté de l'héroïne. Si elle se maintient, une telle modification du marché risque d'amener un passage à d'autres types de drogues, parfois plus dangereuses, et les pays affectés doivent urgemment commencer à planifier leurs réponses à un tel changement, tant au niveau national que régional. Pour ce faire, Transform propose les pistes suivantes:
La menace de la criminalisation a montré que les personnes concernées tendent à ne pas demander de l'aide. Il est donc central qu'une réponse adaptée soit proposée par les pays touchés.