Dépendances

N° 65 Jeux d'argent 2.0 : à la recherche de l'équilibre

On dit des jeux d’argent qu’ils sont plus vieux que l’histoire. Avant l’écriture, avant la monnaie, Sapiens s’amusait déjà à défier le hasard. Comme d’autres comportements, les jeux sont là depuis longtemps et vont le rester, réalité immuable de notre espèce. Néanmoins, les conditions de sa pratique changent et vont prendre en Europe une tournure particulière. Durant les derniers siècles, l’État en constitution va s’intéresser de près à ce secteur et aux revenus qu’il dégage. Ce marché va alors se développer sous l’ombre protectrice des pouvoirs publics. Des premières loteries de François 1er aux casinos d’aujourd’hui, les revenus du marché des jeux viennent renflouer les caisses de l’État. Contrairement à l’alcool et au tabac, l’État prend ici une position de promoteur et d’entrepreneur, en créant des sociétés publiques de jeux souvent protégées par un monopole. Si la Loterie Romande est créée en 1937, c’est avant tout pour faire face à la crise des années 30 qui frappe durement la Suisse. De même, l’ouverture des casinos en Suisse répond aux problèmes de financements de l’AVS dans les années 90. En Suisse, c’est près d’un milliard de francs qui vont à l’utilité publique, soit un peu plus de la moitié du 1,7 milliard perdu chaque année par les joueurs. Mais l’État doit avant tout protéger ses citoyens et s’occuper des conséquences des jeux d’argent. À la fois promoteur des jeux pour des raisons fiscales, et protecteur de sa population pour éviter le développement de problèmes de jeux, le régulateur étatique est mis à rude épreuve. Protection des joueurs contre fiscalité : l’équation des jeux d’argent est posée. La recherche d’un équilibre acceptable entre les deux plateaux d’une balance qu’on voudrait équilibrer va alors faire l’objet de débats nourris, dans tous les pays occidentaux. Comment gérer les contradictions entre ces objectifs, en conflit manifeste ? Comment garantir la neutralité de l’État ? Il s’agit donc bien d’une question avant tout politique.

La nouvelle loi sur les jeux d’argent acceptée par référendum ne souffre d’aucune contestation. Elle reflète les rapports de force actuels, soit une prépondérance de l’attrait de l’impôt. Il faut l’accepter pour l’instant, mais surtout ne pas baisser les bras. Un cadre légal rénové offre aussi de nouvelles opportunités et il nous appartient de les saisir. La résilience du système suisse permet à des contrepouvoirs d’émerger. Dans ce paysage complexe, il existe des niveaux de gouvernance plus concernés que d’autres. Les cantons, en recevant de nouvelles obligations en matière de protection des joueurs (art. 85), prennent la mesure de la tâche. Les acteurs de première ligne sur le terrain commencent à repérer les problèmes dévastateurs tant sur le plan familial que professionnel. Certains joueurs eux-mêmes se font entendre, en dénonçant des pratiques parfois très agressives des opérateurs. Le principe de l’impôt régressif (ou impôt sur les pauvres) fait enfin débat, avec cette étrangeté morale qui veut que les loisirs des plus aisés soient payés par les joueurs, souvent les plus modestes de notre société. Ces débats vont se poursuivre, nourris par les évolutions constatées sur le terrain.

Car le dilemme éthique des jeux promet de se poser demain avec une acuité plus grande encore. D’une part, les nouvelles technologies donnent aux opérateurs des moyens quasi infinis pour stimuler la compulsivité des joueurs. D’autre part, les restrictions budgétaires poussent inexorablement l’État à choyer cet impôt politiquement indolore. Le présent Dépendances aborde plusieurs aspects du marché des jeux en Suisse, en commençant par décrire ce nouveau paysage, ses enjeux et quelques-unes de ses évolutions. Il nous invite à nous approprier cet environnement et ses nouveaux débouchés numériques pour nous aussi, peser de tout notre poids sur la balance des jeux.

Jean-Félix Savary, GREA

2. LA NOUVELLE LOI SUR LES JEUX D'ARGENT

Rebecca Joly (Office fédéral de la justice)

14.07.2020

3. LOI SUR LES JEUX D'ARGENT : DÉFIS ET ENJEUX POUR LES CANTONS

Nicolas Dietrich (Direction de la santé et des affaires sociales du Canton de Fribourg ; Conférence des délégués cantonaux aux problèmes des addictions, CDCA ; Groupe de travail « jeux d’argent »)

14.07.2020

5. ANALYSE DES PRATIQUES AVANT L'OUVERTURE DU MARCHÉ EN SUISSE

Luca Notari et Hervé Kuendig (Addiction Suisse), Christophe Al Kurdi (GREA)

14.07.2020

6. GENRE ET JEUX DE HASARD ET D'ARGENT

Anouk Papon et Alexander Tomei (Centre du jeu excessif)

14.07.2020

7. CYBERADDICTION : SYNDRÔME OU SPECTRE DE TROUBLES ? UN ÉCLAIRAGE VIA L'ANALYSE PAR RÉSEAU DE SYMPTÔMES

Joël Billieux (Université de Luxembourg) et Stéphanie Baggio (Hôpitaux Universitaires de Genève et Université de Berne)

14.07.2020

9. LEVÉE D’EXCLUSION DES CASINOS: RETOMBÉES D’UNE PROCÉDURE ÉVALUATIVE ET PSYCHOÉDUCATIVE À NEUCHÂTEL

Johan Jaquet, Jean-Marie Coste et Patrizia Cultrera (Addiction Neuchâtel)

14.07.2020