Cannabis : bientôt des amendes d’ordre?

01.07.2009

Article paru dans Actualité sociale de Jean-Félix Savary sur les amendes d'ordre liées au cannabis.


Savary, J.-F. (2009). Cannabis : bientôt des amendes d’ordre?. Actualité sociale n° 21

Cannabis : bientôt des amendes d’ordre?

Jean-Félix Savary, GREA 

Le 30 novembre 2008, le peuple suisse rejetait l’initiative « Pour une politique raisonnable en matière de chanvre protégeant efficacement la jeunesse ». Ce refus venait clore un processus initié plus de 15 ans auparavant, quand les différentes instances politiques suisses avaient décidé de changer le statut légal du produit et de passer à une réglementation en lieu et place de la prohibition. Mais le peuple en a décidé autrement.

Néanmoins, les questions de fond qui avaient provoqué la réflexion sur la dépénalisation ne sont pas réglées pour autant. Une prévalence importante dans la population suisse demeure (plus de 500'000 consommateurs) et l’engorgement du système judiciaire continue (plus de 70% des dénonciations pour infractions à la LStup concernent le cannabis). Plus grave, aucune réponse n’est donnée aux évolutions majeures de ces dernières années : la consommation précoce de cannabis chez les très jeunes et la distinction de plus en plus floue avec les autres drogues illégales (aussi bien au niveau du marché que des représentations).

C’est donc naturellement vers les jeunes que se porte aujourd’hui l’essentiel de l’attention. Loin des débats idéologiques, sur le terrain, on privilégie aujourd’hui l’intervention précoce. Plutôt que de vouloir imposer tous azimuts un message strict, c’est vers l’individu qui a besoin de soutien que se dirigent les efforts. L’idée est simple : grâce à une prise en charge ciblée, on intervient avant l’installation de problèmes durables, ce qui rend les résultats forcément meilleurs. Dans les faits, la surconsommation de cannabis reste souvent passagère. Symptôme plus que problème, elle peut tout à fait être canalisée vers d’autres comportements si une aide est proposée en réponse à la demande exprimée. La surconsommation de cannabis révèle toujours une autre problématique sous-jacente, d’origine familiale, sociale, psychiatrique, etc.

Un nouveau modèle : les amendes d’ordre

Fortes des constatations qui précèdent, plusieurs associations actives auprès des jeunes, Pro Juventute, le Conseil Suisse des Activités de Jeunesse et la LCH (enseignants) refusaient d’enterrer le débat et le relançaient le 30 novembre en mettant en avant le modèle des « amendes d’ordre ». Le canton de Saint-Gall l’a adopté avec satisfaction depuis plusieurs années, ce qui l’a rendu populaire à Berne. Le 27 mars 2009, la Commission de la santé et de la sécurité sociale du Conseil national se saisissait officiellement de ce modèle, par l’intermédiaire d’une initiative parlementaire du PDC. De quoi s’agit-il ?

Le principe est assez simple. La consommation de cannabis reste interdite, mais les infractions ne débouchent plus sur une procédure judiciaire, mais sur une amende d’ordre pour les adultes. Un peu comme une amende pour stationnement interdit. Pour les mineurs, une action orientée vers une prise en charge socio-sanitaire est privilégiée. A l’admonestation du juge peut ainsi faire place l’approche psychosociale du spécialiste. Une procédure plus lourde reste cependant à disposition des autorités. Évidemment, là réside toute la difficulté de mise en œuvre.

Car, même s’il présente plusieurs avantages, ce modèle des amendes d’ordre ne fait de loin pas l’unanimité parmi les professionnels des addictions. On se souvient que ceux-ci, bien que divisés sur cette question, s’étaient majoritairement rangés derrière l’initiative rejetée le 30 novembre dernier. Le modèle reste de nature répressive et il sanctionne avant d’accompagner. Que la sanction soit réduite pour certains, ou qu’elle prenne la forme d’un accompagnement psychosocial pour d’autres, ne change pas ce trait fondamental. Cependant, au vu de ce qui précède, il pourrait également permettre des améliorations significatives dans le domaine de l’intervention précoce. C’est bien sûr autour d’un projet concret qu’il faudra se positionner. Plusieurs points semblent particulièrement délicats, comme la délimitation des consommations problématiques et non problématiques, les problèmes d’arbitraire ou encore la protection des données.

Privilégier une vision globale 

L’accent mis aujourd’hui sur les problèmes d’alcool, ainsi que sur la consommation précoce de cocaïne ne doit pas nous faire perdre de vue que tous ces problèmes sont liés. Ainsi, la recherche de « défonce » peut très bien substituer un produit à un autre. C’est avant tout vers une démarche globale qu’il faut s’orienter, qui puisse prendre en compte l’entier de la personne et des dynamiques sociales. Si l’expérience montre qu’il n’est pas possible d’empêcher tout comportement « dommageable » pour la santé, le rôle du réseau socio-sanitaire reste cependant très important dans l’accompagnement de ces pratiques, dans une logique de « réduction des dommages ». En Europe, la plus forte augmentation de traitements contre l’addiction concernait le cannabis ces dernières années. Autre sujet d’importance, l’interaction avec certains troubles psychiques demeure une question non résolue. Si toute relation de causalité entre consommation et maladie psychique semble désormais à exclure, le cannabis pourrait avoir cependant un impact négatif dans le développement de certains troubles. La majorité des préoccupations concerne cependant la consommation de cannabis en milieu scolaire ou au travail. Les dommages sociaux engendrés par une surconsommation peuvent être difficiles à combler.

Une nouvelle législation sur le cannabis est donc indispensable. L’application différente de la loi des 26 cantons ne provoque au mieux qu’incompréhension. Le modèle discuté actuellement a le potentiel pour provoquer un changement salutaire, en réorientant l’action régulatrice de l’Etat vers un accompagnement plus complet du jeune. Si ce modèle développe une prise en charge précoce des personnes à risque, s’il porte son attention au-delà de la consommation aux véritables problèmes des jeunes, il mérite d’être soutenu.

Cependant, les écueils sont nombreux et la logique du « dépistage » n’est jamais bien loin. Surcharger les services de soins avec des consommateurs non problématiques ne ferait pas de sens. Tout comme il est dangereux de ne vouloir sanctionner des comportements à risque que par des mesures disciplinaires, sans accompagnement psychosocial. Le débat est donc compliqué. Mais, osons l’optimisme et gageons qu’après les débats enflammés sur la dépénalisation, les esprits pragmatiques auront cette fois ci plus le droit à la parole.