40 ans d’infractions aux pactes sur les droits humains

20.02.2008

Communiqué de presse du GREA soutenant une meilleure prise en compte des droits humains dans la politique drogues internationale.


En 1998, une assemblée générale extraordinaire de l’ONU (UNGASS) sur les « drogues illégales » adoptait 5 plans d’action pour lutter contre le phénomène au niveau international. Élément positif, l’assemblée convenait d’évaluer ses actions et la pertinence de l’approche adoptée dix ans plus tard. L’année 2008 voit donc se dérouler un processus de discussion et d’évaluation de la politique  internationale en matière de drogues. C’est probablement le processus le plus participatif que l’on ait vu dans le système international sur les drogues à ce jour.

La Suisse et la politique drogue 

 Le GREA salue le courage des autorités suisses qui ont su se distancer de la vision dominante de la politique drogue, orientée uniquement sur la répression. Elles ont pu ainsi instaurer en Suisse une politique plus respectueuse des droits humains et augmenter la sécurité sociale et sanitaire de la population. Bien qu’imparfait et largement perfectible, le système suisse permet un travail avec les personnes concernées orienté sur le changement et ne se restreint pas à la punition pénale des  contrevenants. Cette approche saluée partout dans le monde permet de sauver des vies, de réduire les problèmes de criminalité et de promouvoir l’autonomie des personnes. Cependant, de nombreux pays appliquent une politique excessivement répressive, aux conséquences socio-sanitaires dramatiques. Face à cette réalité, le système international continue de promouvoir exclusivement les actions sur l’offre (l’éradication du marché des drogues illégales), en ignorant totalement la réalité des  personnes concernées. 

Le GREA demande une politique internationale en matière de drogue basée sur l’ouverture plutôt que sur la seule approche répressive. Si l’existence même d’une régulation mondiale sur les drogues n’est pas en cause, l’application restrictive et univoque des textes fondamentaux qui en est faite actuellement provoque de graves dégâts socio-sanitaires et viole les principes fondamentaux des droits humains ; cette politique condamne trop souvent les usagers de drogues aux pires tourments et à la mort.

Les conventions internationales, des instruments imparfaits dont l’application pourrait être rénovée

Les conventions onusiennes sur les drogues partent d’un principe simple. L’action sur l’offre de produit (la répression) est seule en mesure de contrer le phénomène de la consommation de produits psychotropes. Bien que cette approche univoque n’ait jamais pu répondre aux attentes, elle reste la politique de nombreux pays, comme la Chine, la Russie et les Etats-Unis. Cette vision constitue l’ossature du système international sur les drogues. Trois conventions, signées en 1961, 1971 et 1988 en donnent le cadre. Ces trois textes ont été ratifiés par la Suisse, bien que sa politique comporte également une action importante sur la demande (prévention, traitement).  

Depuis la signature de la dernière convention, plusieurs Etats se sont lancé dans une nouvelle politique, en tentant également de répondre au problème par une action sur la demande (traitement, prévention, réduction des risques). La Suisse a fait figure de précurseur dans cette voie, avant d’être rejoint par la majorité des pays européens. Cette perspective, qui est également celle de tous les professionnels travaillant dans les dépendances dans le monde entier, a enfin trouvé une place dans le système onusien, avec la déclaration politique sur la réduction de la demande lors de l’UNGASS de 1998. Bien que non contraignante, cette déclaration permet de constater une lente inflexion en la matière vers un plus grand pragmatisme. Cette évolution est donc à saluer et à encourager. 

Une mise en pratique univoque et rétrograde des conventions

Cependant, dans l’application des conventions, c’est tout le contraire qui se passe, avec la continuité d’interprétation des conventions dans le sens le plus restrictif qu’il soit. Toute action centrée sur la réduction de la demande est d’emblée rejetée, alors que la répression bénéficie d’un soutien sans faille. Il est regrettable de constater que la déclaration sur la réduction de la demande est restée jusqu’à aujourd’hui lettre morte et n’a débouché sur aucune inflexion dans la compréhension et l’application des conventions. Cette attitude fermée de l’organisation Internationale de Contrôle des produits Stupéfiants (OICS) ne peut plus se justifier aujourd’hui, en regard aux immenses problèmes sociaux et sanitaires générés par la consommation de drogues illégales.

Même si les conventions onusiennes comportent donc de nombreuses lacunes, le problème principal aujourd’hui est avant tout leur interprétation et leur application. L’OICS fait une lecture totalement doctrinaire de ces textes. Composée de juristes acquis à la ligne la plus répressive, elle fait abstraction des développements internationaux en matière de lutte contre la drogue pour privilégier une répression aveugle, dictée par des impératifs moraux.

Une application des conventions contraires aux textes fondamentaux de l’ONU sur les droits humains

L’application de la politique onusienne aujourd’hui pose de graves problèmes de droits humains. L’OICS est nettement plus sensible à faire promouvoir une répression tout azimut, optique d’inspiration américaine. Ce faisant, elle épingle régulièrement la Suisse pour sa politique jugée libérale en la matière. Par contre, elle passe sous silence les infractions aux deux pactes fondamentaux des Nations Unies sur les droits humains de 1966. 

Le GREA demande donc un rééquilibrage des priorités internationales en matière de drogues et, dansle cadre de la politique actuelle basée sur une action sur l’offre, respecter les dispositions fondamentales du droit des personnes. A cet égard, il est choquant que les « traitements » les plus dégradants mis en place dans les régimes totalitaires, voire la peine de mort pour simple consommation, ne soient jamais remis en cause par les organismes onusiens. Par contre, les actions qui sauvent des vies, comme les programmes d’échanges de seringue ou les traitements de substitution sont régulièrement mis au pilori pour complaisance.

Deux thèmes en priorité : la peine de mort pour consommation et l’aide à la survie

La peine de mort pour les consommateurs de drogues

Aujourd’hui, dans certains pays, la peine de mort peut être administrée pour des délits liés à la drogue, notamment la consommation et le petit commerce. Sur les 64 pays qui connaissent encore la peine capitale, environ la moitié prévoit son application pour des problèmes de drogues. Le GREA estime qu’il s’agit d’une violation grave du pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques, qui définit très clairement le champ d’application de la peine de mort aux « crimes les plus graves », dans son article 6.2.. Dans l’acceptation onusienne, cette notion de « crimes les plus graves » exclut tous les délits qui ne sont pas « intentionnels », qui ne résultent pas en des dommages sur des tiers ou qui sont perpétrés pour des raisons économiques.

Au vu des connaissances actuelles sur la dépendance aux drogues, il n’est pas possible de justifier de telles punitions. Nous sommes donc bien en présence d’une violation des droits humains, où des vérités scientifiques sur les dépendances, pourtant connues depuis des décennies, sont volontairement ignorées à des fins idéologiques. 

Le droit à la survie

De nombreuses mesures simples permettent de sauver la vie de nombreux toxicomanes. C’est le cas par exemple des programmes d’échanges de seringue qui permettent d’éviter la contamination par les virus mortels du SIDA et de l’Hépatite C (entre autres). Il est aujourd’hui criminel de laisser des personnes s’infecter sous un prétexte de « guerre à la drogue » alors que les 20 dernières années ont montré la voie à suivre. Même le très conservateur Office des Nations Unies sur la Drogue et le Crime (ONUDC) semble se convertir à cette approche, comme le montre un document publié début 2008 et intitulé « Reducing adverse health and social consequences of drug abuse: A comprehensive approach ».

Refuser l’accès aux soins de base sous prétexte de consommation de drogues est une infraction grave à l’esprit d’égalité de la déclaration des droits de l’homme. Les personnes toxicomanes sont souvent fragilisées et n’ont que peu de ressources pour faire face à leur situation. Elles se doivent d’être aidées pour trouver une issue autonome à leur situation. Fermer les yeux sur leur situation sanitaire revient à ne pas assister ces personnes en danger.

 

 Le GREA appelle la Suisse à s’investir massivement sur ce dossier. En tant que pays phare dans la promotion des droits de l’homme dans le monde, la Suisse se doit de porter ces enjeux fondamentaux sur le devant de la scène internationale. 

 

Contact : 

Jean-Félix Savary

Jf.savary@grea.ch

079 345 73 19