Cadre international

Introduction

Le cadre international sur les drogues se fonde sur la politique de prohibition. Mais parce que la « guerre contre la drogue » s’est avérée être un véritable échec, des voix appellent au changement. Depuis le début du 21e siècle, elles demandent à mieux prendre en compte les droits humains, les enjeux sanitaires, l’accès aux médicaments essentiels et l’environnement. La discussion sur les substances illicites jusqu’à maintenant concentrée quasi-uniquement à la Commission des Stupéfiants à Vienne, ne peut plus se faire sans les agences onusiennes basées à Genève, actives sur les questions de droits humains et de santé. Un nouvel ordre se crée.

Actes fondateurs

Les pays sont maîtres en matière de politiques drogues et chacun a sa propre politique ; ultra-répressive aux Philippines, libérale au Canada ou en Uruguay, et tolérante au Portugal par exemple. Pourtant, tous ces pays ont un point commun : ils s'imprègnent des trois Conventions internationales suivantes :

  • la Convention unique sur les stupéfiants de 1961,
  • la Convention de 1971 sur les substances psychotropes,
  • la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.

D’autres textes, parfois contradictoires avec ces conventions, sont également capitaux dans la définition du cadre international, entre autres :

Les premières règles internationales sont apparues au cours du 20e siècle, en priorité pour réguler le marché des médicaments luttant contre la douleur ou les problèmes de santé mentale. Mais, à partir des années 60, c’est la vision prohibitionniste de lutte contre les drogues qui a pris le dessus. La « guerre contre la drogue » qui s’en est ensuivie a été un échec total. Depuis 2016, un nouveau virage s’est amorcé pour mieux répondre aux objectifs initiaux des conventions (réduire les problèmes concrets), tout en s’inscrivant d’avantage dans la politique générale menée par l’ONU, contre les discriminations et pour les droits humains, et pour s’inscrire pleinement ans le cadre des objectifs du développement durable (ODD).

Historique

Au départ était une convention…

Pierre angulaire de la politique mondiale des drogues, la Convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies voit le jour en 1961 et instaure le système international de prohibition. Elle règlemente le commerce des produits thérapeutiques et interdit les usages illégaux, à travers notamment l’établissement d’une liste internationale des stupéfiants. En 1971, la lutte contre les stupéfiants connaît un développement majeur lorsque le président américain Richard Nixon (sur Youtube) déclare la drogue « ennemie numéro un des États-Unis ».

La « guerre à la drogue »

Cette « guerre contre la drogue » instaure un nouveau paradigme puisqu’elle vise à combattre la drogue en elle-même, sur tous les fronts, y compris en réprimant les consommateurs par de lourdes peines de prison. La répression de la consommation se généralise et prend une dimension internationale en 1988 lorsque les Nations Unies adoptent une convention qui contraint les États à poursuivre pénalement les consommateurs : « chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, à la détention et à l’achat de stupéfiants et de substances psychotropes et à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle (…) ».

Trente ans plus tard, cette convention fait toujours autorité au niveau international et les États qui tentent des approches moins répressives de la politique de la drogue sont montrés du doigt.  C’est le cas, notamment de la politique suisse des 4 piliers, dénoncée jadis par les instances de l’ONU alors qu’elle est à présent souvent citée en modèle puisqu’elle a permis de diminuer les risques sociosanitaires tout en réduisant le nombre de personnes dépendantes à l’héroïne (voir une étude d'évaluation de la politique menée à l'époque par Zürich).

L’OICS (l’Organisation Internationale de Contrôle des Stupéfiants) a fait une visite de la Suisse en novembre 2017, pendant laquelle elle a eu l’occasion de visiter les salles de consommation, ainsi que d’une installation de fabrication d’une entreprise produisant des substances contrôlées.

Voir plus de détails sur l’OICS

UNGASS, vers un nouveau départ

Encore très idéologique, le dispositif international de lutte contre la drogue repose encore sur la croyance en la possibilité d’éradiquer complètement la consommation et la production de stupéfiants. Une croyance peut-être légitime il y a cinquante ans mais qui s’apparente aujourd’hui à de l'aveuglement ou a de la naïveté. De nombreux acteurs et pays remettent ouvertement en cause cet objectif, notamment depuis l’UNGASS 2016. Depuis les années 1960, malgré une répression ininterrompue, le nombre de consommateurs de stupéfiants n’a cessé d’augmenter. A défaut d’atteindre ses buts, la prohibition a accéléré l’essor de réseaux mafieux, souvent violents, qui contrôlent aujourd’hui le marché. Elle contribue en outre à la marginalisation croissante des consommateurs de drogues.

La fissure du système grandit à la réunion ministérielle

Les préparations au segment ministériel associé à la 62e Session de la Commission sur les Stupéfiants (du 18 au 23 mars 2019) ont révélé une fragilisation du consensus international sur le contrôle des drogues, liée aux modifications du paysage mondial provenant des changements au niveau de la légalisation de l’usage non-médical et thérapeutique du cannabis. Plusieurs États aux États-Unis d’Amérique, ainsi que le Canada ont adopté des systèmes de régulation de la production, la distribution et la consommation du cannabis à des fins « récréatives », constituant des pas inacceptables pour des États comme la Russie ou la Chine.

Malgré l'ampleur des questionnements et des remises en cause de l’ordre international en matière de stupéfiants, il n’y pas eu réellement de débat à la CND 2019, manifestée par l’adoption immédiate d’une  Déclaration ministérielle sur le renforcement des actions menées aux niveaux national, régional et international, pour accélérer la mise en œuvre des engagements communs à aborder et combattre le problème mondial de la drogue.

Voi le document E/CN/.7/2019/L.11, du Conseil économique et social des Nations Unies 2019. Cette Déclaration contient peu d’engagements concrets ou ambitieux, et fixe à 2029 le prochain suivi, et à 2024 l’examen de mi-parcours.

Voir aussi l’article Vienne 2019 : Un système international de contrôles des drogues sous tension, pour plus d’informations et d’analyse sur la 62e Session régulière de la Commission des Stupéfiants).

Enjeux

La faillite d'un système

Explosion des dépenses publiques, conséquences sanitaires dévastatrices, incapacité chronique à enrayer le développement du trafic et du crime organisé : tels seraient les résultats de cinquante ans de guerre contre la drogue. Un constat d’échec établi en juin 2011 par la Commission globale pour la politique des drogues qui comptait notamment dans ses rangs Kofi Annan, l’ancien président du Brésil Fernando Henrique Cardoso ou encore Javier Solana, ancien secrétaire général de l’OTAN. Mais c'est son rapport de 2014 "Prendre le contrôle : sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues" qui a marqué les esprits, en demandant une prise de contrôle du marché des drogues par les États.

De façon générale, la commission dénonce avec virulence la faillite du système international de prohibition et de répression des drogues et souligne à quel point, chiffres à l’appui, les politiques expérimentales basées sur la réduction des risques (Suisse, Royaume-Uni, Pays-Bas), voire les tentatives de décriminalisation globale (Portugal), produisent des résultats positifs. Or, dans un contexte international toujours dominé par l’idéologie des conservateurs américains des années 1970, la marge de manœuvre des États est faible. Les conventions des Nations Unies imposent en effet aux pays membres de mener une politique axée, pour l’essentiel, sur la répression.

Des conséquences dévastatrices

Réunies au sein d’un projet commun intitulé « Count the Costs » (Compter les coûts), des dizaines d’organisations, d’experts et de think tank, mènent une campagne active pour dénoncer les conséquences de la politique internationale de guerre contre la drogue. Ils ont identifié, suite à la compilation de données et d’études scientifiques précises, sept conséquences dévastatrices.

1. Frein au développement

Les tentatives de développement dans les pays producteurs sont mises à mal par l’essor du trafic clandestin : augmentation de la violence liée au développement d’armées privées ou au renforcement de juntes locales, corruption politique, judiciaire, militaire et douanière (ex. : Afghanistan et Colombie).

2. Menaces sur la santé publique

Notamment par le développement d’épidémies comme le VIH ou l’hépatite chez les usagers de drogues injectables, la santé publique est menacée. La guerre contre la drogue marginalise les usagers. En Russie on compte 1.8 millions de consommateurs de drogues injectables., dont 37% d’entre eux sont positif au VIH.

3. Atteintes aux droits humains

Dans plusieurs pays, la répression des usagers se manifeste par les incarcérations de masse, la torture et même l’exécution.  Plus de 1'000 personnes sont exécutées chaque année en violation directe des règles internationales (voir dossier Droits Humains).

4. Stigmatisation et marginalisation

Par crainte de la répression, les usagers de drogue consomment dans la clandestinité. Ils sont progressivement marginalisés et donc privés de la plupart des possibilités de réinsertion.

5. Explosion de la criminalité et des profits illégaux

La drogue est de loin le commerce illégal le plus important et le plus rentable au monde. La prohibition a ouvert un boulevard à la criminalité et à la violence associée : guerres de gangs pour la vente dans la rue, guerre de clans chez les producteurs, guerre de mafias pour la distribution internationale.

6. Déforestation et pollution

Chaque année, des millions de litres de désherbants toxiques sont déversés par avion sur les plantations de coca en Amérique latine. Ces produits souillent les sols et nuisent aussi aux cultures légales qui se situent à proximité. En outre, ces fumigations contribuent indirectement à la déforestation puisque les producteurs de drogue abattent des centaines d’hectares d’arbres pour créer de nouvelles zones de production.

7. Coûts exorbitants

100 milliards de francs sont dépensés chaque année dans cette guerre contre la drogue. Ce montant astronomique grève les autres budgets consacrés à la politique des drogues. Pourtant, seule une infime partie de cette somme suffirait à couvrir les besoins en matière de prévention et de réduction des risques.

Des réformes indispensables

Le constat d’échec de la politique internationale de guerre contre la drogue plaide pour une réforme du contexte international. A l’épreuve des faits, les principes fondateurs des conventions de l’ONU apparaissent comme des vœux pieux. La prohibition et la croyance en la possibilité d’éradiquer complètement la consommation et la production n’ont plus aucune crédibilité.

Afin d’encourager l’innovation, l’expérimentation et la recherche de solutions adaptées à des contextes qui évoluent vite, un nombre croissant de voix s’élèvent en faveur de la réforme des conventions et des institutions onusiennes. L’ONU devrait ainsi se muer en une force d’impulsion en engageant sans attendre un grand débat sur la prohibition et en incitant les États à chercher des solutions pragmatiques basées sur la réduction des risques et la réglementation des substances psychoactives. Car l’idée de changer de paradigme fait son chemin, aussi sur le sol des États-Unis, qui portent pourtant à bout de bras la doctrine de la war on drugs sur la scène internationale. En 2013, les USA ont dû assouplir leur discours dans le cadre feutré de l’Organisation des États d’Amérique (OEA), où ils côtoient 34 autres nations voisines.

Poussée par les pays latino-américains, l’OEA a diligenté une étude approfondie de la problématique des drogues sous ses multiples aspects afin d’esquisser des pistes permettant de sortir de l’impasse actuelle. Le rapport OAS Drug Report, publié en mai 2013, évoque la décriminalisation et la réglementation des drogues comme des scénarii plausibles pour obtenir les résultats que la politique répressive a échoué à atteindre. Jamais ces positions pragmatiques n’avaient été portées en si haut-lieu, et par un si grand nombre d’États. Dans la foulée, l’OEA a demandé, et obtenu, qu’une assemblée extraordinaire de l’ONU (UNGASS) se consacre exclusivement à la question de la drogue en avril 2016. Le GREA y a participé comme membre de la délégation suisse.

Le résultat de l’UNGASS 2016 fut le Document Final de la Session Extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le Problèmes Mondial de la Drogue, tenue en 2016, adopté par consensus à l’ouverture de la Session. Le Document couvre 7 chapitres thématiques, avec des engagements sur la réduction de la demande ; la disponibilité des substances placées sous contrôle destinées exclusivement à des fins médicales et scientifiques et l’accès à ces substances ; la réduction de l’offre; ainsi que des questions transversales telles que les droits humains, les jeunes, enfants, et femmes ; nouvelles menaces et nouveaux enjeux ; la coopération internationale ; et le développement. Cette structure permet de mettre en avant des possibilités de réforme du droit pénal, des options de politiques de contrôle des drogues basées sur les principes fondamentaux des Nations Unies : de protéger les droits humains, promouvoir la santé publique et des politiques et pratiques de condamnation proportionnelle, en ligne avec l’Agenda 2030 du Développement Durable.

En 2018, face à un manque d’évaluation effectuée par les États Membres eux-mêmes, le Consortium International sur les Politiques des Drogues (IDPC) publie:

dénonçant le fait que les engagements et objectifs énoncés dans la Déclaration Politique et le Plan d'Action de 2009 n'aient pas été atteints et soulignant qu’ils ont souvent conduit à des politiques contre-productives.

Le Rapport parallèle soulève un certain nombre de questions sur l'évaluation passée et future des politiques mondiales en matière de drogue, et le besoin urgent de mener des recherches plus approfondies et plus régulières sur l’ensemble des impacts des politiques en matière de drogues. Il soutient que l’absence de progrès dans la réalisation des objectifs de lutte contre la drogue, ainsi que les conséquences négatives associées aux efforts déployés pour les atteindre, devraient pousser les États à se demander que mesurer (c’est-à-dire non seulement l’ampleur du marché des drogues, mais aussi des indicateurs sur l’impact de la la politique des drogues en termes de santé, de droits humains, de développement, de paix et de sécurité).

C’est suite au momentum des dernières années, depuis l’UNGASS en particulier, que la Geneva Platform, mise en place en 2017 par le GREA et l'Institut de Santé global (UNIGE), sert les objectifs de changements des politiques drogues, du point de vue des usagers, de la santé et des droits humains.

Geneva Platform, partenaire européen

En juin 2019, la Geneva Platform, ensemble avec plusieurs partenaires, a organisé la Geneva Drug Policy Week (communiqué de presse), rassemblant différents acteurs locaux et internationaux travaillant sur les drogues. On peut la voir comme un outil de compétences pour changer les politiques drogues en Europe.

Au total, quinze évènements, dont des conférences, débats, tables rondes, projections de film et visites de terrain, ont été organisés sur différents sites à Genève sur des thèmes allant de la santé, des conflits, des droits humains, de l’accès aux médicaments à de nombreux autres sujets. Une des sessions fut consacrée à un panel sur  la position commune du système des Nations Unies, abordant les mandats basés à Genève et comment travailler ensemble en vue de la position commune du système des Nations Unies sur les questions liées aux drogues.

Vers le Panel de position commune sur le système des Nations Unies du 28 juin 2019