Addiction

Introduction

Au début des années 2000, les notions d’alcoolisme et de toxicomanie ont basculé vers le concept d’addiction. Alors que les premières mettaient l'accent sur le produit, le concept d'addiction traduit avant tout un comportement de consommation et le contexte dans lequel il se déroule.

Définitions

Définition du GREA

Le concept d'addiction a autant de définitions qu'il existe de postures et de points de vue sur le sujet. Le GREA a décidé de donner à cette notion une dimension avant tout humaine.

L’addiction est la perte de l’autonomie du sujet par rapport à un produit ou à un comportement. Elle se caractérise par l'association de deux dimensions :

  • La souffrance de la personne,
  • Les changements de son rapport au monde (aliénation).

Il est primordial de comprendre que seule une minorité des usagers de drogues souffrent d’addiction et que la majorité d’entre eux contrôlent leur consommation. On ne devient ni alcoolique en buvant un verre de vin, ni toxicomane en sniffant une fois de la cocaïne, ni même accro au jeux de hasard et d’argent (JHA) en se rendant une fois au casino.

Définition de la Fédération des professionnels des addictions

Pour la Fédération des professionnels des addictions, qui regroupe les faîtières des trois régions linguistiques GREA (FR), Ticino Addiction (IT) et Fachverband Sucht (DE), les termes « Sucht » en allemand, « addictions » en français et « dipendenze » en italien sont utilisés de manière synonyme. On entend par addiction l'émergence d'un phénomène issu de multiples facteurs, à la fois médicaux, psychologiques et sociaux, impliquant la perte de maîtrise de l'usage d’un produit ou d’un comportement. 

L'addiction ne permet plus à la personne d'être autonome face à son projet de vie et à ses relations sociales. Elle demande une réponse de la collectivité dans plusieurs domaines complémentaires, à savoir le social, la santé, la sécurité, l’éducation et l’environnement.

Les définitions dans le domaine médical et de la psychiatrie

Les professionnels de la santé ne parlent pas d'addiction. Ils évoquent la dépendance (plus précisément, le syndrome de dépendance). Il s’agit d’un diagnostic médical posé par un professionnel de santé à la suite d’une anamnèse (enquête). Ce dernier s’intéresse aux symptômes, aux éléments tangibles, objectifs et catégorisables. Pour ce faire, il s’appuie sur la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-11 de l'OMS) qui définit les critères requis pour poser ce diagnostic.

La nouvelle classification du DSM-5, de l'Association Américaine de Psychiatrie, supprime les notions d’usage nocif (abus) et de dépendance pour les regrouper en un seul diagnostic de « troubles liés à l’usage d’une substance ou d’un addictif ». Les critères diagnostiques de ces troubles sont presque identiques à ceux de l’usage nocif (abus) et de la dépendance des classifications antérieures combinés en une seule liste, à deux exceptions près : le critère de « problèmes judiciaires récurrents » a été retiré, le critère de « craving » a été ajouté ». (voir dossier Santé mentale)

Selon Michel Reynaud, le DSM-5 a apporté une approche dimensionnelle, c'est-à-dire que le sujet présente une addiction plus ou moins grave selon le nombre de symptômes présentés dans une liste de 11 éléments regroupant l'abus et la dépendance. Cette évolution du concept d’addiction a des conséquences sur les prises en charge addictologiques. 

Cette nouvelle approche, dimensionnelle, permet de justifier l’utilité d’interventions et de programmes de soins gradués, allant de la simple intervention brève à la prise en charge globale médicopsychosociale. Elle justifie également les stratégies thérapeutiques allant de la simple réduction de consommation à l’abstinence. Mais il y a une constante qui persiste dans la compréhension des addictions : la nécessité d’une approche biopsychosociale.

Le modèle bio-psycho-social

Le psychiatre français Claude Olievenstein et son homologue américain George Libman Engel sont à l’origine des conceptions contemporaines de l’addiction en proposant, dès 1970, un modèle dit bio-psycho-social. Dans ses travaux sur les drogues, Olievenstein explique : « La toxicomanie surgit à un triple carrefour : celui d’un produit, d’un moment socioculturel et d’une personnalité. Ce sont là trois dimensions également constitutives. » (C. Olievenstein, "La drogue ou la vie", 1983)

Cette approche triangulaire renouvelle complètement la manière de penser les addictions qui était alors axée pour l’essentiel sur le produit et l’individu. Elle donne pour la première fois un rôle explicatif déterminant au contexte socio-culturel. Cela n’a plus été remis en cause depuis.

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Selon les auteurs, selon leur point de vue et leurs méthodologies expérimentales, l’accent est mis plutôt sur l’un ou l’autre des aspects du modèle bio-psycho-social (Produit - Individu - Environnement)

 

Importance de l’environnement

Depuis les années 1970, de nombreux auteurs insistent sur le rôle déterminant de l’environnement dans le développement des addictions et, à contrario, leur rétablissement. Le dessin animé de The Rats Park (tiré des études de B. Alexander) évoque une expérience menée au début des années 1980 qui met en évidence l'importance de l'environnement dans les conduites addictives.

La société addictogène banalise l’expérience addictive avant même que n’aient lieu les premières expériences avec les substances. Elle promeut une culture de l’excès et de l’accélération qui habitue l’enfant, puis l’adolescent, à des réponses instantanées et intenses, similaires à celles qu’apporteront les substances (voir l'interview de Jean-Pierre Couteron).

Importance des neurosciences

Les premiers travaux sur l’addiction comme « maladie du cerveau », ont permis de s’éloigner de la vision moraliste qui prévalait alors. Ils ont mis en évidence l’existence d’un circuit de la récompense puis, plus tard, du rôle joué par la dopamine, « la molécule du plaisir », dans le fonctionnement de celui-ci. Le neurobiologiste Jean-Pol Tassin explique, dans une vidéo, marker à la main, le circuit de la récompense.

Pour lui, l’émergence de troubles liés à l’usage de substances psychoactives s’expliquerait par la dissociation entre deux « systèmes » clés du cerveau chargés de percevoir l’environnement. Le premier système, activé par le neuromédiateur noradrénaline, a pour fonction de stimuler la perception, de la rendre plus vive, plus saillante. Un deuxième système, activé par le neuromédiateur sérotonine, est chargé de réguler, de modérer les impulsions et les envies.

Choix ou phénomène?

Le psychologue anglais Robert West a recensé une trentaine de théories de l’addiction, qu’il a regroupées en quatre catégories. L’addiction peut ainsi être envisagée comme : 

  1. Un choix individuel (plus ou moins) rationnel : l’individu fait un choix à chaque fois qu’il consomme, il n’y aurait donc pas de perte de contrôle,
  2. La réponse à une impulsion de consommer (due à l’action de la substance sur le cerveau) et la capacité à y résister ou non,
  3. Un ensemble d’habitudes, d’apprentissages, de rituels, de conditionnements,
  4. Un phénomène culturel et social : les substances et les façons de les consommer se diffusent de façon variable dans le temps et l’espace (modes ou épidémies).
Substances addictives

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le statut légal des substances psychoactives n’indique en rien leur dangerosité.  Ce tableau synthétise la capacité d’atteintes cellulaires (toxicité), le pouvoir de modification psychique (intensité) et le potentiel addictif (dépendance). (voir dossier Réduction des risques)

 

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Source illustration : (A. Morel, "Aide-mémoire d'addictologie", 2007)

Continuum

Afin de mettre en évidence ce qui se trouve entre une consommation qui ne pose aucun problème et la perte totale d’autonomie, les professionnels des addictions distinguent habituellement trois types de comportement.

  1. Comportement à faible risque : décrit les formes de consommation et les pratiques qui ne sont nocives ni pour la santé de la personne concernée ni pour son entourage et qui font souvent partie de la vie en société.
  2. Comportement à risque : désigne une consommation de substances ou une pratique qui peuvent causer des problèmes ou des dommages physiques, psychiques ou sociaux à la personne concernée et à son entourage. On distingue trois schémas de comportement potentiellement nocifs pour l’individu, son entourage et la société :
    1. le comportement excessif (par ex. biture express),
    2. le comportement chronique (p. ex. consommation quotidienne d’alcool),
    3. le comportement inadapté à la situation (par ex. conduite en état d’ébriété).
  3. Addiction : désigne une consommation de substances ou une pratique caractérisée par « la perte d’autonomie de la personne, sa souffrance et son aliénation » (voir définition proposée par le GREA, haut de la page)

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Source illustration : (OFSP, "Stratégie Addiction, 2017-2024")