La Réduction des Risques (RdR) s’est développée en Europe au cours des années ‘80 comme un ensemble de mesures pragmatiques visant à enrayer l’épidémie de VIH/sida auprès des usagers de drogues injectables. Face à l’urgence, plusieurs initiatives locales et innovantes, telles que les bus méthadone ou la distrubtion de seringues, ont vu le jour dans des pays comme la Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Danemark. Actuellement, la RdR s’attache à réduire les conséquences néfastes sur un plan sanitaire, mais également social et/ou économique de certains comportements potentiellement dommageables qu’ils soient légaux ou illégaux.
Sous ce concept, on désigne communément l’ensemble des programmes, des prestations et des pratiques qui visent à réduire les dommages associés à l’utilisation de substances psychoactives, par des personnes qui sont dans l’incapacité ou qui n’ont pas la volonté de cesser de consommer. Une des caractéristiques essentielles de cette approche est qu’elle se concentre sur les personnes elles-mêmes, leurs pratiques, leur environnement et leurs conséquences négatives, plutôt que sur la prévention de la consommation de drogues.
La réduction des risques accompagne la personne dans la préservation de sa santé. Elle vise à lui permettre de traverser la phase de consommation avec un minimum d’atteintes sur le plan physique, psychique et social. Il s’agit d’une approche pragmatique et soucieuse de la dignité des personnes, que celles-ci soient dans une consommation occasionnelle ou face à une dépendance avérée depuis plusieurs années.
L’International Harm Reduction Association (IHRA 2010) rajoute que la RdR est bénéfique pour les consommateurs de drogues, leur famille et la communauté dans son ensemble. Enfin, il s’agit d’une approche solidement ancrée dans la santé publique et les droits humains.
Bien que le terme de réduction des risques soit privilégié par le GREA, d’autres termes peuvent aussi être utilisés selon le contexte, mais avec des nuances et des intonations différentes:
Réduire les risques, c’est d’abord garantir des conditions minimales de survie. La RdR prend acte qu’une société sans drogues ne saurait exister, qu’il y a, et qu’il y aura toujours, des personnes qui ne veulent ou ne peuvent cesser de consommer des substances psychoactives en dépit des conséquences négatives que celles-ci peuvent parfois entrainer pour elles-mêmes, leur proches ou encore la société. Il s’agit donc de minimiser ces conséquences.
Les difficultés rencontrées par les usagers de drogues dans l’accès au logement et au travail compliquent leur réinsertion et donc leurs chances de sortir, à long terme, de leur dépendance. Souvent plongés dans l’extrême précarité, les usagers ne possèdent plus les moyens physiques et/ou psychiques d’envisager un arrêt de leur consommation. Pour inverser cette spirale, il est donc nécessaire de commencer par garantir des conditions minimales de survie. L’accès au logement, à la réinsertion sociale et à l’emploi sont donc également des composantes essentielles de la réduction des risques. Ce volet social de la réduction des risques est trop souvent mis de côté au profit de la seule dimension sanitaire.
Assurer la confidentialité, promouvoir l’accessibilité au service ou encore s’abstenir de tout jugement idéologique ou moral font partie des nombreux principes qui sous-tendent une approche de réduction des risques. Ils sont explicités depuis 2011 dans un document de référence de l’ECDC et EMCDDA.
Amélioration de la dignité de la personne, le renforcement de sa qualité de vie et le respect des droits humains.
De nombreux travaux de recherche repris par la Global Commission on Drug Policy (GCDP) ont démontré les répercussions désastreuses des régimes de prohibition sur le VIH/sida, l’hépatite C et, plus largement, en termes de santé publique. Pour réduire les risques, les acteurs socio-sanitaires se positionnent très clairement en faveur de nouveaux modèles de réglementation des drogues moins délétères pour les usagers de drogues et pour la société dans son ensemble. L’ouverture à la règlementation du marché des drogues est l’un des gros enjeux qui accompagne les réflexions sur la réduction des risques.
La Réduction des risques doit encore se développer en Suisse. Voici quelques uns des enjeux contemporains dans notre pays :
Le meilleur exemple de réduction des risques qui parle à tout le monde est le port de la ceinture. Les personnes peuvent continuer de conduire (bien que cela tue chaque année de nombreuses personnes) tout en se protégeant des risques liés à la circulation. Dans le domaine des addictions, des salles de consommation sécurisées à la distribution de préservatifs ou au drug checking, plusieurs exemples confirment la pertinence de la réduction des risques.
La RdR s’est réellement fait un nom dans les années 80 avec l’épidémie du VIH/sida. Neuf interventions de RdR sont indiquées par l’OMS, ONUSIDA et l’UNODC pour prévenir la maladie et toutes infections sexuellement transmissibles parmi les usagers de drogues injectables :
En plus de ces neuf interventions, l’Alliance Internationale sur le VIH/SIDA promeut d’autres interventions de réduction des risques (The Alliance 2010):
Depuis la fin des années’90, le principe de réduction des risques a aussi gagné le monde de la nuit. L’apparition des drogues de synthèses et les incertitudes relatives à leur composition ont incité les professionnels à franchir la porte des clubs pour entrer en contact avec les usagers. Le drug checking est un laboratoire mobile ou fixe qui permet d’analyser les substances avant leur consommation. Au-delà de l’analyse, cet outil est un extraordinaire moyen d’entrer en contact avec des personnes qui n’ont pas pour habitude de fréquenter les structures classiques de prise en charge. (renvoyer sur la page Nightlife)
En Suisse romande, trois villes disposent d’espace de consommation sécurisé (ECS). Le premier, le Quai 9, a été inauguré il y a 20 ans à Genève et le deuxième a ouvert à Bienne. Enfin, l’ECS de Lausanne a ouvert ses portes en septembre 2018 (Fondation ABS). Ces espaces offrent aux usagers un cadre sécurisé pour y consommer les substances en leur possession.
Une quinzaine de lieux en Suisse permettent aux usagers de prendre des TAO à base de diacétylmorphine, soit de l’héroïne de qualité médicale, afin de limiter les risques sanitaires d’une part mais également les risques sociaux et financiers. En Suisse, les traitements de substitution ne relèvent pas du pilier « Réduction des risques » mais sont assimilés au Pilier « Traitement ».
Le vapotage est un exemple tout récent de réduction des risques. Il permet à la personne dépendante à la nicotine de continuer à l’inhaler au moyen d’une alternative moins nocive pour lui et son entourage que la combustion du tabac.
Au Canada, la crise des surdoses constitue l’une des crises de santé publique les plus grave et meurtrière du pays avec plus de 40’000 décès liés à une intoxication aux opioïdes entre 2016 et 2024 en tout cas. La toxicité élevée ainsi que l’imprévisibilité des substances fournies à partir du marché illégal continue d’être un facteur majeur de cette crise. La fourniture illégale de drogues contient des opioïdes puissants à des doses inconnues, tels que le fentanyl ou des produits analogues, ainsi que d’autres substances toxiques, entraînant des taux élevés de surdoses et de décès.
Dès 2020, le programme de lutte contre la toxicomanie de Santé Canada a financé dix projets pilotes( (en anglais) d’approvisionnement plus sûr (safer supply) dans trois provinces : Ontario, Colombie Britannique et Nouveau-Brunswick. Ces programmes offrent une alternative à la fourniture illégale de drogues toxiques (toxic illegal drug supply) sous forme de médicaments prescrits, par exemple agonistes opioïde, fentanyl ou oxycodone en patch pour les problématiques d’addictions aux opiacés ainsi que des substituts de stimulants du type méthylphénidate.
Plusieurs études ont mis en lumières les nombreux avantages de ces programmes en se basant notamment sur l’expérience des usagers et usagères. Parmi les aspects positifs relevés, on peut citer une diminution des taux de surdose, d’hospitalisations et d’infections, une réduction de la consommation de fentanyl et d’autres substances acquises illégalement ou encore une amélioration de la santé et du bien-être des usagers.
Les produits les plus dommageables pour l’usager et son entourage ne sont pas toujours ceux que l’on imagine. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le statut légal des substances psychoactives n’indiquent rien sur leur dangerosité. Il a été démontré (D. Nutt et al. 2007; D. J. Nutt, King, et Phillips 2010) que l’alcool (qui est une drogue légale) est plus dommageable que le LSD, le cannabis ou encore l’héroïne.
Les professionnel·le·s suisses des addictions (GREA, Ticino Addiction, et Fachverband Sucht 2015):
Les représentants des polices de 17 pays, dont la Suisse, réunis lors de l’International Conference on Drug Policy and Policing ont adopté les « Principes de Francfort ». Cette déclaration, non contraignante, pose un cadre de travail intéressant pour la coopération entre le pilier répression et RdR.
Par ailleurs, de nombreux manuels, guides ont été produits pour soutenir la mise en place de stratégies de réduction des risques (Eurotox, IDPC, UNAIDS, OMS, UNODC, UNAIDS, OHCHR, FFA).
La Suisse a plus de 20 ans d’expérience dans le domaine. Sa politique de santé publique audacieuse et pragmatique, qui s’est principalement développée pour faire face au développement du VIH/sida, porte aujourd’hui ses fruits. La réduction des risques est un des quatre piliers de cette politique en matière de drogue, qui comporte également la prévention, la thérapie et la répression. La réduction des risques est complémentaire aux autres mesures existantes pour faire face aux problèmes de société liés aux drogues.
Les buts de la réduction des risques sont les suivants (OAStup, art. 26):
Elle précise également les buts du « traitement avec prescription de stupéfiants » (OAStup, art. 8) qui, selon la pratique internationale relèvent de la RdR: