L’alcool est certainement le psychotrope le plus ambivalent. Sous nos latitudes, il fait partie de nos us et coutumes, il est de toutes les fêtes et il faut un rien pour lever un verre. Pourtant, l’alcool a son revers de médaille. Un décès sur douze est lié à l’alcool en Suisse. Et si la baisse de consommation se confirme ces dernières années pour certaines tranches de la population, l’alcool reste un souci sociosanitaire majeur. Sur le plan législatif, une révision a échoué en 2016.
Même à basse dose, l’alcool est mauvais pour la santé. Il a des effets importants sur le corps et représente un facteur de risque pour plus de 60 maladies, comme les cancers, la cirrhose ou encore les lésions cérébrales. De par ses effets stimulants et désinhibants, il amène également les consommateurs à avoir des comportements potentiellement à risque qui peuvent nuire à leur propre sécurité mais aussi à celle d’autrui en induisant de la violence ou des accidents tels les accidents domestiques, accidents lors d’activités sportives ou sur la route.
Il n’existe pas de consensus sur les normes minimales journalières ou hebdomadaires recommandées pour maintenir une bonne santé. L’OFSP s’aligne sur les recommandations de l’OMS et de sa Commission fédérale pour les questions liées aux addictions. Les recommandations vont de une à deux unités par jour pour une femme et de deux à trois pour les hommes avec deux jours de pause par semaine.
Différentes études désignent l’alcool comme le psychotrope qui génère le plus de dommages, tant pour l’usager que pour son entourage. Dans le monde, cette substance est responsable de 3,3 millions de décès chaque année, selon l’OMS.
Source : DrugScience
Pour autant, la consommation d’alcool est ancrée dans notre culture occidentale. L’alcool joue un rôle très important dans la vie sociale et dans les rituels qui la rythment. De plus, il représente, notamment en Suisse, une véritable industrie qui fait vivre une partie de la population et génère des recettes fiscales. Il y a donc des intérêts ambivalents qu’il est capital de prendre en compte pour appréhender l’aspect multidimensionnel de l’alcool. La prohibition aux Etats-Unis l’a prouvé, l’interdiction pure et simple n’est pas efficace, la consommation augmentant même durant cette période.
La Pyramide de Skinner (voir ci-dessous) répertorie les usagers en cinq catégories. Dans leur travail, les membres du GREA se concentrent en priorité sur les publics situés au sommet de la pyramide. Chez ces personnes, la consommation de quantité importante d’alcool va largement influencer leur vie quotidienne, que ce soit au travail, en famille ou lors des sorties.
La consommation annuelle d’alcool recule en Suisse depuis les années 80. En 2016, elle s’est établie à près de 8 litres d’alcool pur par habitant.
La grande majorité des suisses présentent une consommation à faible risque ou sont abstinents, selon les statistiques de la Confédération. Toutefois, près d’une personne sur cinq boit des quantités qui dépassent les seuils recommandés et 4,3 % de la population est concernée par une consommation chronique à risque, soit plus de 20 g/jour d’alcool pur pour les hommes et plus de 10 g/jour d’alcool pur pour les femmes. Pour repère, un verre standard (p. ex., 3 dl de bière ou 1 dl de vin) contient 10 g d’alcool pur. Par ailleurs, le nombre de personnes alcoolodépendantes est estimé à 250’000 et la consommation problématique d’alcool entraîne plus de 1’600 décès chaque année dans notre pays. Les coûts sociaux qui découlent de tout ceci se montent à près de 4,2 milliards de francs par année, peut-on lire sur la page dédiée de l’OFSP.
La Commission fédérale pour les problèmes liés à l’alcool a adapté les quantités maximales en raison des derniers développements scientifiques. Elle suggère ainsi aux hommes en bonne santé de ne pas boire plus de deux verres standard par jour et aux femmes pas plus d’un verre par jour. Il est également recommandé de ne pas boire d’alcool durant plusieurs jours par semaine.
Les intoxications alcooliques en Suisse ont amené 23’313 personnes à être prise en charge dans un hôpital en 2014. Même si la grande majorité des cas vient d’individus plus âgés, la pratique du binge drinking, qui consiste à boire beaucoup pendant une courte période, est responsable de certains cas, particulièrement chez les jeunes. La part des jeunes de 15 ans ayant connu au moins deux épisodes d’ivresse au cours de leur vie est resté stable entre 2014 et 2018 aussi bien chez les filles (12.8% et 10.8%) que chez les garçons (16.1% et 18.5%), selon le Monitorage suisse des addictions.
La consommation d’alcool peut être influencée par différents facteurs modifiant l’environnement. Notamment :
La politique des prix : les consommateurs, et surtout les jeunes, sont sensibles au changement du prix des boissons. On peut recourir aux politiques de prix pour diminuer la consommation, notamment chez les jeunes. L’augmentation du prix des boissons alcoolisées est le moyen le plus efficace de réduire l’usage de l’alcool.
L’accessibilité : Il est possible aussi d’agir sur l’accès aux boissons alcooliques, en définissant un âge minimum pour en acquérir, en réduisant le nombre de points de vente et les heures d’ouverture (ex : régulation de la vente en station-service) ou en limitant les horaires (ex : régime de nuit qui empêche la vente à l’emporter après une certaine heure).
Le marketing : Il est primordial de diminuer l’impact du marketing, surtout sur les jeunes et les adolescents, quand on veut réduire l’usage nocif de l’alcool. Le marketing de l’alcool fait appel à des techniques publicitaires et promotionnelles de plus en plus élaborées, notamment à des stratégies qui associent les marques d’alcool à des activités sportives ou culturelles, aux partenariats et au placement de produits, aux nouveaux canaux de marketing comme les courriels, les SMS, le podcast et les médias sociaux et à d’autres techniques encore.
L’objectif de la prévention comportementale est d’encourager le public à adopter un usage responsable des substances psychoactives. Cela passe notamment par la transmission de connaissances et de compétences psychosociales sur l’alcool, par exemple sous forme de campagnes d’affichage ou de matériel de prévention, informant les consommateurs sur les effets et les risques. Débutant dès la petite enfance, cette prévention touche toutes les étapes de la vie, notamment à travers le cercle familial.
Pour différentes raisons, l’alcool n’agit pas de la même manière sur chacun, certains y sont plus sensibles que d’autres. Les consommateurs à risque sont donc, d’une certaine manière, victimes de la banalisation de l’alcool dans notre société. Ainsi, il est primordial que celle-ci se montre solidaire avec eux en les aidant à retrouver leur qualité de vie et leur autonomie.
En matière de traitement, les professionnels des addictions prônent des approches aussi diversifiées que possible pouvant s’adapter aux besoins de chacun. Que ce soit :
De manière générale, les professionnels des addictions prônent des politiques de santé publique visant à réduire les risques ainsi que les coûts sociaux liés à la consommation d’alcool sans stigmatiser ses usagers. Le GREA soutient les mesures ciblées qui cherchent à trouver un équilibre rationnel entre restriction des libertés individuelles et diminution significative des dommages.
Pour autant, des études comme le projet européen Amphora ont montré que si les politiques publiques pouvaient agir sur la consommation d’alcool, certains facteurs importants restent difficilement influençables comme les changements sociétaux (urbanisation) ou tout simplement la culture.
La Suisse dispose d’une loi libérale sur l’alcool, cela veut dire qu’il existe un minimum de restrictions pour protéger la population et surtout les jeunes, population plus vulnérable, face à l’industrie et aux pressions des lobbys. Cet état de fait a failli basculer lors de la révision de la loi sur l’alcool entre 2012 et 2016. Petit coup d’oeil dans le rétroviseur.
En 2012, le Conseil fédéral met sur pied une révision totale de la loi sur l’alcool qui date de 1932. Une occasion de fusionner deux lois distinctes :
Sous prétexte d’une diminution globale de la consommation d’alcool, le projet du Conseil fédéral accorde un blanc seing aux producteurs et distributeurs et ne prend pas de mesures pour diminuer les problèmes liés à l’alcool qui, eux, augmentent. L‘impôt en est l’enjeu majeur car plus il est petit plus il fait pression sur les prix (alcools bon marché) et réduit la part allouée à la prévention.
Et cela se reflète dans les débats. A l’issue de la première lecture, seule la création d’une base légale pour les achats-tests donne satisfaction auprès des deux Chambres. Pour le reste, il y a divergence. Le National refuse les mesures structurelles sur le marché, telle que l’interdiction de vendre de l’alcool à l’emporter après 22 heures et l’interdiction des «happy hours» pour les spiritueux. Les Etats interdisent la vente nocturne d’alcool mais refusent d’augmenter l’impôt sur les spiritueux de 29 à 32 francs, alors que le National valide cette dernière.
Enfin, et pas des moindres, la fiscalité, et plus particulièrement l’imposition basée sur le rendement (voir document PDF) finit par diviser les Chambres. Après un gymkhana politique, la Régie fédérale des alcools propose une alternative de réduction fiscale de 30% pour les petits producteurs et les commettants (de moins de 1’000 litres d’alcool pur par an).
Le 19 novembre 2015 (communiqué), la CER-E classe la révision car l’expertise conclut que la nouvelle solution de la RFA proposée le 3 juin soulève des questions sur la constitutionnalité et la conformité avec les accords commerciaux internationaux.
Lors de la session d’hiver 2015, le Parlement classe tacitement la révision. Le Conseil fédéral élaborera un projet de révision partielle pour le premier semestre 2016, reprenant uniquement les points non contestés, soit la libéralisation du marché de l’éthanol (avec privatisation d’Alcosuisse) et la réintégration de la Régie fédérale des alcools dans l’Administration fédérale des douanes.