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Pour une approche transaffirmative au sein des services de traitement des dépendances
Abdelhakim Missoum (Université de Sherbrooke)
Interview
Bénédicte Bertin et Abdou Ndiaye (Oppelia Charonne) par Camille Robert (GREA)

Dépendances 81 - Questions de genres: Interview

avril 2025

Interview

Bénédicte Bertin et Abdou Ndiaye (Oppelia Charonne) par Camille Robert (GREA)

L’association Oppelia Charonne gère un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques (CAARUD) à Paris exclusivement destiné aux femmes* depuis trente ans. Abdou Ndiaye, directeur de l’association et Bénédicte Bertin, Cheffe de service de l’Espace Femmes, racontent l’histoire de ce lieu, son fonctionnement, sa plus-value pour les femmes* usagères et ses défis à venir (réd.). 

Camille Robert : Qu’est-ce que l’Espace Femmes ? 

Abdou Ndiaye : L’Espace Femmes est une entité du CAARUD Charonne Oppelia. L’Association Charonne, née dans les années 1970 et devenue par fusion Oppelia Charonne en 2018, en est à l’initiative. Pour rappel les années 1970 sont marquées par un tournant législatif majeur. Elles voient la production d’une des lois les plus répressives sur les usagères et usagers de drogues, celle du 31 décembre 1970. Paradoxalement, elle ouvrait aussi la possibilité aux usagères et usagers d’accéder aux soins anonymement. Le Code de Santé Publique et le Code Pénal figeaient ainsi toute la question des consommations de stupéfiants sur deux axes : ou tu es délinquant, ou tu es malade. L’association est née dans ce contexte, avec beaucoup de « toxicomanes », comme on les appelait à l’époque, à accompagner. D’abord avec un accueil de jour, puis de nuit avec un foyer, pour ensuite se décliner en plusieurs types d’établissements dont un Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) en 1993 et l’Espace Femmes en 1995 dans la même dynamique.  

Bénédicte Bertin : C’étaient les débuts de la consommation de crack à Paris, notamment sur la place Stalingrad. Avant, les usagères et usagers d’héroïne étaient plutôt invisibles sur l’espace public mais les scènes de consommation de crack les ont mis plus en visibilité. Et donc quand le premier CAARUD a ouvert, des hommes comme des femmes consommatrices de crack sont venu·e·s. Mais l’espace était tout petit, il y avait beaucoup de monde et rapidement, les usagers hommes ont exercé de la violence à l’intérieur de la structure, ce qui a été insupportable pour l’équipe. À cette époque-là, l’équipe s’interroge pour offrir un espace plus sécurisé aux femmes usagères. Dans un premier temps, il a été décidé de fermer l’accueil mixte sur certaines plages horaires pour n’accueillir que des femmes. Mais la structure était située dans une petite rue d’un des quartiers les plus défavorisés du 18e et les hommes exerçaient la violence sur les femmes à l’extérieur, avant qu’elles n’entrent ou quand elles sortent. Ce n’était donc pas la bonne solution, ce qui a décidé la Direction à réagir rapidement. Une autre boutique a été louée un peu plus loin, celle-ci réservée aux femmes et qui ouvrait en alternance avec l’espace mixte, avant de pouvoir ouvrir tous les jours grâce à de nouveaux financements.  

En 2010, les deux Espaces ont déménagé à Porte-de-la-Chapelle, sur un même site dans un grand jardin avec deux entrées, l’une pour les femmes et l’autre mixte. C’était une période assez sinistre, avec beaucoup de violences, aussi entre femmes usagères et envers les professionnelles de l’époque. Des collaboratrices sont parties. Une demande spontanée d’un éducateur homme de passer sur l’Espace Femmes a permis de se rendre compte que la présence d’éducateurs masculins amenait une certaine sécurité. Les violences ont diminué à l’intérieur de l’espace.  

Camille Robert : Donc l’Espace Femmes est né en raison de changements dans les consommations de drogues, avec l’augmentation du crack et les problèmes de violence envers les femmes ? 

Bénédicte Bertin : Oui, c’est exactement ça. L’équipe faisait face à un changement total des comportements des usagers et usagères avec le crack. Les femmes sont « la pierre angulaire des scènes de consommation de crack », parce que ce sont elles qui font rentrer le plus d’argent sur ces scènes, en lien avec la prostitution. Elles sont donc traquées quand elles se prostituent, car on va essayer de leur voler leur argent après une prestation sous la menace de coups. Elles sont obligées d’être hyper vigilantes en permanence, elles sont soumises à des violences diverses et des formes d’emprise. Par la particularité de leur vie, elles consomment énormément, sont sous-alimentées et peuvent ne pas dormir pendant 3 jours. Ce sont des profils de femmes très abîmées et plutôt seules.  

Camille Robert : Aujourd’hui, combien de femmes accompagnez-vous à Paris ? 

Bénédicte Bertin : La file active est d’environ 170 femmes sur site. A Paris, il y aurait entre 250 et 300 femmes sur les scènes de consommation. En CSAPA ou en CAARUD mixte, on est habituellement sur des ratios de 20% de femmes et 80% d’hommes. C’est très compliqué pour des femmes d’aller en soins et de se rendre en CAARUD, même juste pour prendre du matériel.  

Abdou Ndiaye : Outre les inégalités dont elles sont victimes dans la société, ici les femmes subissent une double stigmatisation : celle propre au fait de consommer des drogues et celle d’être des femmes qui consomment des drogues. La société a encore beaucoup de mal à accepter cela. Aller en CSAPA peut encore passer, ça veut dire que tu veux te soigner, mais assumer pour une femme d’aller en CAARUD est loin d’être gagné. Si on ajoute à cela la violence dont a parlé Bénédicte, les vols, le proxénétisme, elles sont incontestablement dans des situations très vulnérabilisantes.  

Camille Robert : Quels types de prestations proposez-vous dans l’Espace Femmes ? 

Bénédicte Bertin : Notre approche consiste à être au plus près des besoins et des demandes des usagères. Le CAARUD dispose d’une salle de repos qui leur sert autant de temps qu’elles souhaitent lors des journées de travail en continu (lundi et vendredi). Elles peuvent arriver à 9h, se doucher, faire une lessive et aller dormir sur l’espace de repos. L’Espace propose les services d’un médecin généraliste (le jeudi matin), d’une art-thérapeute (le lundi matin), d’une infirmière à mi-temps (lundi à mercredi) et d’une socio-esthéticienne (le vendredi). L’équipe pluridisciplinaire met en place des ateliers et des sorties, pour les sensibiliser à des thématiques de santé et les mobiliser sur la question du soin. L’Espace Femmes favorise une diversité d’activités culturelles (sortie cinéma, restaurant…) dans l’objectif d’offrir aux femmes une possibilité de s’extraire d’un quotidien ancré dans les scènes de consommation. Ce n’est pas toujours évident d’avoir leur adhésion, elles sont beaucoup mobilisées dans une organisation routinière autour de la recherche d’argent, de produit, d’un lieu sécurisé pour consommer, avec son corolaire d’hypervigilance. Elles ont des parcours de vie extrêmement douloureux, marqués dès le jeune âge par des violences, des abus sexuels, des incestes etc. Elles sont encombrées par de nombreux évènements traumatiques.  

Abdou Ndiaye : La plus-value de l’Espace Femmes réside dans la sanctuarisation du lieu ; il n’est pas ouvert lundi pour les hommes et mardi pour les femmes. En venant ici, les femmes savent qu’elles vont dans un espace qui leur est complètement dédié. Quelque part, « c’est chez elles ». Elles savent qu’elles vont pouvoir se couper des tensions avec les hommes, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas entre elles. L’espace leur appartient, cela change vraiment des espaces mixtes qui expérimentent des séquences d’ouverture pour les femmes en semaine, qu’il convient d’encourager toutefois. 

Bénédicte Bertin : L’Espace Femmes accueille aussi un public issu de la prostitution, qui fréquente les Bois de Paris, notamment le Bois de Boulogne, qui est occupé à 90% par des femmes trans avec qui nous avons créé de très bons liens. La file active de femmes trans récente s’intègre très bien dans le service. L’Espace Femmes, c’est un endroit où l’on peut se sentir femme. 

Abdou Ndiaye : Et être accueillie comme telle.  

Camille Robert : Pourquoi, à votre avis, y a-t-il si peu d’espaces d’accueil à bas seuil réservés aux femmes ?  

Bénédicte Bertin : La réflexion est assez récente. Au début, il y avait beaucoup de professionnel·le·s qui n’étaient pas d’accord d’ouvrir des espaces dédiés aux femmes, il y a eu beaucoup de débats. Au début de mon activité professionnelle, dans les années 2000, il y avait très peu d’études et de littérature scientifiques disponibles sur les caractéristiques propres aux consommations de substances et des dépendances concernant les femmes. Aujourd’hui il est établi que les produits psychoactifs n’engendrent pas les mêmes conséquences sanitaires selon le genre. Il subsiste beaucoup de stigmatisations sur les femmes. A titre d’exemple l’alcoolisme chez les femmes reste encore un énorme tabou. Même dans le travail social et chez certain·e·s professionnel·le·s, en dépit du travail considérable de correction des représentations, il y a encore une marge de progression pour convaincre de la pertinence de donner une place spécifique à l’accompagnement des femmes.  

Pour définir l’offre de l’Espace Femmes nous avions eu beaucoup d’échanges sur l’appréciation des demandes des femmes. Notre parti pris est d’apporter autant de réponses que possibles, y compris les plus caricaturées telles la couture, la cuisine, le tricot, d’avoir une socio-esthéticienne… Les mises en place de celles-ci sont l’occasion de passer un moment convivial entre professionnel·le·s et usagères pendant près d’une heure, ce qui est très porteur dans la réhabilitation de l’estime de soi. Sur le plan somatique, la gynécologie s’est rapidement avérée très pertinente. La file active comporte des usagères de 60 ans avec un parcours de consommation de plus de 40 ans. Elles sont confrontées aux enjeux de santé inhérents tels que la ménopause, des aménorrhées depuis des années, l’absence de bilans, etc. Sur le plan des infections, nous accompagnons aussi des femmes trans qui n’ont même pas 25 ans et qui sont positives au VIH ou à la syphilis. Donc oui, il y a un accompagnement spécifique qui doit se faire autour des femmes usagères, qu’elles soient consommatrices de crack, d’alcool ou d’opiacés.  

Camille Robert : Et comment ça se passe au niveau de vos équipes ? Y a-t-il besoin de formation continue spécifique à ces sujets ?  

Bénédicte Bertin : Comme dans toute équipe, les encadrants favorisent une montée en compétences de manière empirique. Pour optimiser les modalités d’accueil de femmes trans, j’ai sollicité une formation sur les transidentités proposée par l’association OUTrans (ndlr : association féministe d’auto-support trans à Paris).  

De même j’ai appuyé des sensibilisations pour développer nos compétences sur les violences et les traumas. Il y a quelques années, quand l’Espace Femmes était encore situé à Porte-de-la-Chapelle, les situations d’emprise ou de sidération étaient très peu abordées. L’équipe médico-sociale comprenait mal que les femmes retournent auprès d’hommes qui les violentaient et ce malgré le fait d’avoir déposé elles-mêmes plusieurs plaintes contre ce ou ces derniers. La connaissance de ces problématiques s’enrichit et l’équipe continue à se former régulièrement, notamment lors des ateliers organisés à l’occasion des journées du 8 mars ou du 25 novembre. C’est un travail du quotidien.  

Camille Robert : Vous disiez aussi que d’avoir engagé des hommes dans les équipes de travail social a amélioré la situation de l’Espace Femmes. Comment ça se passe concrètement ? 

Abdou Ndiaye : Au moment du recrutement, il revient à la cheffe de service d’apprécier la compatibilité entre l’éducateur candidat au poste et l’état d’esprit de l’Espace Femmes ; c’est un prérequis pour l’exercice professionnel dans cet Espace. Si nécessaire, il peut être proposé au professionnel récemment recruté de bénéficier d’un accompagnement pour monter en compétence. En revanche, il est fondamental d’avoir à minima la posture cohérente avec la spécificité de ce service.  

La présence d’éducateurs dans l’équipe répond à plusieurs objectifs : tout d’abord, celui de laisser la possibilité aux femmes de s’adresser ou de se confier à un homme si elles le souhaitent. Elle permet aussi d’expérimenter des interactions entre usagères et éducateurs sans enjeu de domination ou de mise en danger. Les parcours de consommation, notamment en rue, exposent beaucoup les femmes et plusieurs hommes profitent de leurs vulnérabilités.  

Bénédicte Bertin : Il y a quelques années, il y avait beaucoup de violence entre les usagères et les collaboratrices. Les relations entre travailleuses sociales et usagères ne sont pas vraiment non plus étudiées, de mon point de vue. Je pense qu’il y a beaucoup de choses douloureuses qui se jouent dans ces interactions. Je ne prône pas une mixité absolue dans les équipes, mais c’est quelque chose qui fonctionne à l’Espace Femmes.  

Camille Robert : Le contexte politique n’est pas simple en France et un certain nombre de défis s’annoncent dans un contexte de « guerre à la drogue ». Comment voyez-vous la suite ? 

Bénédicte Bertin : L’équipe souhaite vivement pouvoir continuer ce travail, sans coupes budgétaires. Les politiques qui mènent une « guerre à la drogue » impliquent aussi une forte pression policière, ce qui a une répercussion sur les CAARUD. La violence, l’insécurité et l’instabilité s’intensifient. Depuis les Jeux olympiques, le CAARUD est sollicité pour des démantèlements de campements en rue, ce qui éloigne les usagères et usagers du soin. Elles et ils sont encore plus exclus et se retrouvent dans des coins toujours plus sordides. Si l’on ne peut regretter la « colline du crack » tant elle fut catastrophique quant aux conditions de vie, en particulier des femmes usagères, il convient de noter qu’elle était circonscrite, ce qui facilitait le travail d’intervention auprès des personnes. Maintenant, les scènes sont explosées, tout est plus violent et plus caché, avec davantage de pression. Les conditions sont pires et il se passe des choses horribles. Des femmes peuvent être séquestrées dans des tentes pour de la prostitution auxquelles les professionnel·le·s n’ont pas d’accès. Cet état de fait impacte nos équipes. Il interroge l’éthique du travail social.   

Abdou Ndiaye : La « guerre à la drogue » enfonce les personnes plus vulnérables dans encore plus de difficultés : les mineurs, les femmes, les personnes en situations administratives irrégulières, etc. La prohibition a insidieusement induit un distinguo entre des drogues dites « dures », vecteurs de stigmatisation de certaines populations et des drogues « douces » qui seraient plus acceptables. Pourtant les enquêtes (OFDT, OEDT, …) confirment que la consommation de substances psychoactives est de plus en plus répandue en population générale, aussi chez les femmes, en dépit de cette doctrine répressive. Ces évolutions dans les consommations n’épargnent pas les femmes, une grande part d’entre elles recourent aux médicaments antidépresseurs, à l’alcool, au tabac, toutes ces substances pouvant générer des addictions.  

Les inégalités, les violences et les mécanismes de domination sous-jacents dont les femmes sont victimes restent des facteurs de vulnérabilité majeurs. Leur quête de soulagement peut de ce point de vue trouver refuge dans les bénéfices des psychotropes légaux comme illégaux.  

Elles vivent la double stigmatisation tant comme usagères que personne demandant du soutien dans les structures compétentes. Elles sont nombreuses à se débrouiller avec des dépendances très difficiles. Celles qui ne sont pas forcément dans des situations de précarité sont réticentes à franchir nos portes pour parler de ce qu’elles traversent. Nous devons changer le regard de la société sur les usagers et usagères de drogues pour leur faciliter le recours aux soins. 

Le deuxième élément sur lequel je souligne une nécessité de progrès est l’hébergement et le logement. Disposer d’un toit reste un enjeu pour beaucoup d’usagers et d’usagères. L’Espace Femmes a voulu développer un espace de repos de nuit mais le projet s’est heurté aux coûts. Aujourd’hui, Oppelia Charonne expérimente en partenariat avec une association un dispositif d’hébergement de vingt places exclusivement réservées aux femmes. Les résultats sont très prometteurs. A moyen terme, nous œuvrons à pérenniser ce dispositif avec un meilleur accompagnement de la question des consommations. 

Camille Robert : Merci beaucoup pour cet entretien.  

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