avril 2022
Nadia, Céline, Michel et Sébastien
Nadia : je suis ici depuis trop longtemps, je ne veux pas savoir depuis quand. Je crois que je suis une des plus vieilles. Je suis venue parce que j’en pouvais plus. J’étais à bout. Je crois que je serais morte. À l’époque, je travaillais. Economiquement c’était pas mal, pas comme maintenant, c’était très facile de trouver du travail. Je suis tombée à un moment où ils encourageaient les jeunes, pratiquement ils déroulaient le tapis rouge. Je travaillais et puis j’achetais (de la drogue). Mais c’était épuisant de devoir toujours tout planifier.
C’est un infirmier méthadone qui m’a dit « vous devriez aller au Peps ». La première fois je l’ai pas fait. Ça m’a pris un moment pour accepter cette idée de malade. Ça m’a pris du temps à digérer. Je suis venue, ça m’a pris des années pour l’enlever, me déculpabiliser. Il y a encore un décalage avec la société. De toute façon, ce n’est pas une ligne claire, noir et blanc, c’est dégradé.
Au début, il y avait un ajustement au Peps, parce qu’ils ne savaient pas du tout quelles étaient les quantités à prescrire, il n’y avait pas de références. Ils ont dû tout créer eux-mêmes. Tester, voir. C’est dangereux, s’ils en donnent trop, quelqu’un meurt. Moi, je suis arrivée après quand c’était stabilisé, mais j’ai entendu toutes ces histoires.
Céline : j’ai découvert le Peps il y a 7-8 ans. J’ai croisé une psychologue qui m’en a parlé mais y aller trois fois par jour cela me semblait beaucoup. Mais comme j’étais au bout, que j’en avais marre de la zone, que je faisais des séjours à l’hôpital, j’en ai discuté avec un infirmier et j’ai commencé. Depuis, je n’ai plus consommé d’héroïne de rue et plus été à l’hôpital. Je n’ai plus connu le manque car cela tient 24 heures, et j’ai retrouvé la confiance de ma famille. Ça m’a sauvé, changé la vie.
Sébastien : Je crois que j’ai commencé à prendre des opiacés dans les année 1980 après le décès de mon père. En août 2002, j’ai appris que ma sœur avait un cancer. J’ai su ça à la dernière minute. Tout le monde le savait à part moi. Elle est morte tôt, en janvier. Je me suis dit « je vais m’inscrire au Peps », et puis j’ai été accepté. Je suis donc entré en octobre 2002.
Michel : Je suis là depuis quatre ans. Comme Lausannois, je crois qu’on n’avait pas le droit mais à ce moment-là ils ont commencé à ouvrir pour les Lausannois, en prévision de l’ouverture d’un Peps à Lausanne. Quand ils l’ont ouvert, les autres sont partis et moi je suis resté.
Dans la rue, il y avait beaucoup de gens qui consommaient et depuis qu’ils ont commencé le Peps, on ne les voyait plus dans la rue, donc c’est un peu comme ça que j’en ai entendu parler. Mais comme il n’y en avait pas à Lausanne, j’ai attendu. Après je me suis dit que peut-être commencer ça pouvait être pas mal.
Nadia : Ici il faut venir mais il n’y a plus cette inquiétude, ce risque de se retrouver malade, en manque plusieurs fois dans une année, ce qui est épuisant. Il y a aussi un seuil de souffrance qu’il ne faut plus dépasser.
Je trouve qu’en Suisse on peut avoir pas mal de confiance dans le personnel soignant, dans la mentalité générale. Aux Etats-Unis j’aurais pas de confiance. Le Peps ça m’aide à garder un rythme. C’est pour ça que je viens. Avant je venais trois fois, maintenant deux. J’aime bien ce rythme, je crois que j’ai besoin d’une structure. J’apprécie. Ce qui peut être une contrainte pour certains, pour moi, c’est rassurant.
Quand je suis arrivée ici, j’en pouvais plus, j’étais en épuisement mental. Déjà j’ai pu récupérer physiquement, ça c’est sûr. Mais mentalement, j’ai de la peine. Je pense que ça va mieux mais je suis tout de suite épuisée. Je n’arrive pas à trouver l’énergie. C’est comme s’il y avait deux sortes d’énergies : l’énergie physique et mentale. Je n’arrive pas à trouver assez d’énergie mentale pour envisager de lâcher le Peps. Je n’ai pas vraiment de buts, de plans, c’est de la survie.
Il me semble que ma façon de réagir, elle est très spéciale : je n’ai pas vu d’autres personnes réagir comme moi. Beaucoup sont prêts à voler, même à agresser des gens. Perdre leur milieu social, ça je l’ai jamais fait, j’ai jamais touché à ça, comme trahir ma famille. Il vaut mieux mourir que faire ça. Je mets beaucoup de valeur à la confiance.
Céline : Je viens deux fois par jour. Le matin après le réveil et je promène mon chien en même temps. Je déjeune après et vais voir mon ex deux heures. Lui aussi venait au Peps avant.
Le Peps, ça me cadre. J’ai besoin de choses qui restent. Cela va mieux avec certaines personnes qu’avec d’autres. Le personnel change beaucoup. Cela me dérange par exemple que les médecins changent tout le temps, c’est difficile pour moi. Il faut recréer la confiance. Actuellement, j’ai un bon climat de confiance avec le médecin, qui doit me voir tous les trois mois, même si je le trouve parfois un peu intrusif.
Je ne vois personne à part mon ami, mon ex et les gens du Peps. Je suis plutôt asociale et ne rencontre pas d’autres toxicomanes. Si j’en voyais, j’hésiterais un peu à proposer le Peps parce que c’est contraignant et ce n’est pas de l’héroïne comme dans la rue. Le flash, on l’a moins avec la diacétylmorphine. Si une personne était vraiment dans les problèmes, je lui en parlerais quand même. Mais cela ne marche pas avec tout le monde.
Sébastien : Le Peps a pas changé grand-chose. Je suis souvent fatigué. Les deux visites au Peps rythment mes journées mais ça fait beaucoup. Je dois en plus m’occuper de ma mère et puis je dois m’occuper de moi.
Quand j’ai commencé, je mélangeais beaucoup et c’est vite devenu une habitude. J’ai commencé à prendre des dormicum, en parallèle. Je voulais pas venir au Peps et pas prendre de la diacétylmorphine. Alors j’ai dit « je vais chez mon médecin privé ». Après j’ai arrêté. J’ai essayé d’arrêter complétement, à zéro. Je suis resté un mois à zéro. Mais vraiment zéro, zéro. C’était mon troisième sevrage. Je suis revenu.
J’ai une bonne relation avec le personnel soignant, mais je les trouve un peu distants. Avant, il y avait plus de gens, par exemple il y avait un infirmier dans la salle d’attente avec nous. On arrivait avant, on se mettait sur le fauteuil, et puis on attendait 10 minutes et puis on pouvait rentrer pour obtenir l’héroïne. Là, je pense qu’ils ont pensé à enlever cette attente. J’appréciais ces dix minutes.
Michel : J’ai pas spécialement besoin d’être entouré ou accompagné, mais ça va comment cela fonctionne au Peps. Quand je prends l’héro, j’ai du plaisir mais pas pour longtemps. Pour stabiliser, c’est très bien. Si vous consommez, ça ne sera pas le Peps qui vous sauvera. Il faut aussi beaucoup de temps, du temps de weekend, c’est quand même contraignant. Il faut venir deux fois par jour. Les rendez-vous avec le médecin et tout. Je le conseillerais et puis je ne le conseillerais pas quoi, ça dépend. S’il a une addiction où il s’injecte, je lui conseille. Parce qu’il y a l’hygiène, il n’y a pas besoin de l’argent, c’est l’assurance qui paie. Je trouve que c’est mieux. La prostitution a diminué.
Nadia : Pour le Peps, à un moment on doit être mentalement prêt. Si on ne veut pas, ça sert à rien. Un truc qu’on apprend vite, c’est que si la personne n’a pas de volonté, ça sert à rien de la forcer. Avant, on pensait que ça pouvait marcher comme ça. Il me semble qu’il y a moins de personnes qui pensent comme ça : si on arrive à faire qu’il ne consomme pas du tout, il va voir à quel point c’est débile et du coup, il va arrêter. Mais il faut d’abord que son corps soit propre. Il y a cette croyance que s’il arrive à se désintoxiquer, il va comprendre. C’est difficile à enlever cette croyance.
L’homosexualité était considérée comme une maladie et on mettait les gens en thérapie pour les guérir. Il y a une comparaison, la toxicomanie est une maladie. C’est vraiment une histoire d’étiquette et de comment on appelle les choses, c’est super flou. Il y a peut-être un décalage dans les mots par rapport à la réalité. C’est comme avec les langues, chaque fois qu’on traduit un mot, il y a un décalage.