Un ancien dealer en croisade contre le marché illégal

Une longue carrière dans le trafic, une lourde peine de prison… Tess, un ancien dealer, met aujourd’hui son récit au service de la prévention auprès des jeunes. Il dévoile les mécanismes de recrutement et la réalité de cette vie, dans une démarche qui vise à sensibiliser, tout en mettant en évidence les effets délétères de la prohibition.

Dans l’émission Tout un monde de la RTS, Tess raconte comment, adolescent, il s’est fait happé par les promesses d’argent facile que semblait lui offrir ce trafic mondialisé.

Itinéraire d’un bon élève

L’histoire commence dans le 18e arrondissement de Paris, dans un quartier populaire miné par les trafics en tous genres. Fils d’immigrés, Tess est à l’époque un élève appliqué, déjà doté d’un sens affiné des affaires. Mais tout bascule dans sa fraîche vingtaine, le jour où, pour protéger des amis, il accepte d’assumer la responsabilité d’une boulette de crack retrouvée lors d’un contrôle de police. Il prend alors un an de prison ferme. Un premier contact avec un système pénal qui, plutôt que de traiter les questions d’addiction comme des problématiques de santé publique, criminalise les personnes les plus vulnérables et renforce des dynamiques de marginalisation.

Ce processus de criminalisation rappelle les analyses de la juriste américaine Michelle Alexander qui, dans The New Jim Crow, démontre comment la « guerre contre la drogue » aux États-Unis a créé un système de contrôle social racisé, transformant l’incarcération de masse en outil de marginalisation des communautés afro-américaines et hispaniques.

Trahison, violence et dégâts psychiques

A sa sortie, Tess veut rembourser les frais d’avocat à sa maman. C’est à ce moment qu’il met les doigts dans l’engrenage du trafic. D’abord, il fait la mule en livrant des doses. Puis rapidement, il grimpe les échelons et amasse de l’argent.

Mais derrière l’image du riche dealer, Tess subit un quotidien marqué par la défiance, la peur constante d’être arrêté ou trahi et la violence, impactant sa santé mentale. L’ex-dealer touche également au recrutement de jeunes – parfois très jeunes – gamins de banlieues. Il raconte comment ce terreau fertile est alimenté par l’illusion de réussite matérielle et d’émancipation, le tout sur fond de précarité et d’absence de perspectives.

Son témoignage illustre tragiquement comment le marché illégal pousse les personnes dans l’ombre, les exposant à des violences et les coupant de tout accompagnement psychosocial qui pourrait les protéger.

Nouvelle étape

La mort tragique de son frère conduit Tess à une profonde remise en question. Et c’est lors d’une nouvelle détention – dix ans, entre la Turquie et la France – que naîtra une envie de changement. Il suit alors des formations, commence à penser à un retour à la vie civile et nourrit l’envie de partager son expérience, pour dissuader d’autres jeunes de suivre la même voie.

A sa libération, Tess devient intervenant dans les établissements scolaires et les centres de prévention. Son parcours de réinsertion démontre l’importance cruciale d’approches humanistes qui respectent la dignité des personnes et leur capacité de changement, contrairement aux logiques punitives qui ne font qu’aggraver l’exclusion sociale.

De la sensibilisation au grand écran

À travers son témoignage, il cherche à déconstruire les promesses mortifères véhiculées par les rabatteurs- argent, puissance, respectabilité, liberté totale – et à donner aux jeunes les clés pour résister aux sirènes du trafic. « Pour moi, ayant grandi dans un quartier populaire, c’était normal d’être un dealer et d’aller en prison. Mais il faut faire comprendre aux jeunes que ça n’est pas normal », explique-t-il.

Tess est aujourd’hui un rescapé. Il a intégré le monde de la musique et sorti son livre, Goutte d’or connexion, dont l’adaptation sur grand écran serait en préparation. Tess l’assure: la figure du dealer millionnaire et surpuissant n’est pas au programme. Tess confie vouloir plutôt raconter son histoire et faire passer un message. Un seul: le trafic, c’est «un tatouage dans notre casier judiciaire qui va nous affecter tout au long de notre vie».

L’histoire de Tess questionne fondamentalement nos politiques en matière de drogues. Plutôt que de poursuivre des stratégies répressives qui fabriquent de l’exclusion, crée de la valeur ajoutée pour le marché noir et alimentent la violence, ne serait-il pas temps d’envisager des approches de régulation et de réduction des risques qui privilégient l’accompagnement, la prévention et le respect des droits humains ? Car derrière un « dealer » se cache souvent une personne en situation de vulnérabilité qui mérite une chance de se reconstruire plutôt qu’un acharnement judiciaire.

Si la régulation des drogues constitue un pilier fondamental d’une politique plus juste, la société ne peut faire l’économie d’un travail politique plus large sur l’égalité des chances, les enjeux migratoires, l’accès à l’éducation, à l’emploi et aux ressources sociales qui permettent de construire un avenir digne sans passer par les réseaux illégaux.