Ce n’est pas non plus un exercice facile ou agréable. Mais c’est aussi une réflexion salutaire, enrichissante, et utile. Dans un domaine aussi moralement chargé que le nôtre, une prise de distance réflexive sur nos habitudes de penser nous fait aussi du bien. Place des usagers, abstinence, consommation contrôlée, mode de consommation à moindre risques, place de l’industrie, stigmatisation, santé publique, etc ; toutes ces questions sont ré-ouvertes avec l’e-cigarette, avec des points de vue divergents, comme on le verra dans ce numéro. Au-delà des querelles d’experts, il s’agit d’une vraie opportunité pour réfléchir à nouveau aux fondements de notre profession.C’est bien d’un nouveau moyen de consommer des produits psychotropes dont il s’agit. Si les modèles varient – tout comme les technologies –, l’inhalation par les poumons, sans combustion, se révèle être une perspective intéressante pour réduire les risques des produits fumés. Plus largement, le vapotage ne se réduit pas à la nicotine. On pense bien sûr en premier lieu au cannabis, de loin la principale drogue consommée en Suisse, mais aussi (et de loin), celle pour laquelle les mesures de réduction des risques sont les moins nombreuses. La possibilité de vapoter du THC en particulier, si elle existe dans le cadre de projets de régulation du marché du cannabis, comme ceux qui sont sur l’agenda politique en Suisse, comblerait cette lacune.Réduire les risques pour les consommateurs ? Là aussi, le mouvement du vapotage nous apporte de nombreux enseignements. Ce sont les consommateurs qui donnent le ton. Ils s’engagent dans le débat public, développent des techniques nouvelles, créent des clubs et des associations et font entendre leur voix. Ils sont désormais partenaires du système sanitaire pour gérer au mieux les risques associés à leur consommation. Le mouvement de démocratisation des systèmes de santé, avec une participation plus active des usagers, leur redonne une place au centre des réflexions. Cela rappelle forcément un autre temps, où nous avons dû apprendre, dans les années 80-90, à le faire avec les drogues illégales. Il est réjouissant de voir cette participation citoyenne s’affirmer, et peut-être, dans ce débat, devenir une référence pour d’autres produits. « Jamais rien sur nous, sans nous », tel est le slogan d’INPUD, le réseau mondial des consommateurs de drogues. C’est bien, semble-t-il, le même mouvement qu’on observe en Suisse.Le parlement s’occupera en 2016 d’une nouvelle loi qui vise entre autres à légaliser la vente de produits nicotiniques pour vapotage. Le débat sera vif, à n’en pas douter. Pour les professionnels sur le terrain, il risque bien de continuer encore longtemps, pour le plus grand bien de nos certitudes.
Jean-Félix Savary, GREA