Une enquête du média indépendant The Insider révèle comment Evgeny Bryun, médecin addictologue — ou « médecin narcologue » selon la terminologie russe — en chef de la Russie de 1998 à 2022, a construit un système répressif tout en développant un business personnel basé sur les tests de dépistage.
Des politiques à contre-courant des pratiques internationales
Durant ses décennies au pouvoir, Bryun s’est systématiquement opposé aux approches de réduction des risques : programmes d’échange de seringues qualifiés de « propagande », rejet total des traitements de substitution aux opioïdes, restriction drastique de l’accès à la naloxone (uniquement sur ordonnance), violation du secret médical avec partage d’informations avec la police, et promotion du dépistage obligatoire dans les écoles.
Un bilan sanitaire catastrophique
Ces politiques ont largement contribué à l’épidémie de VIH en Russie. Les décès liés aux drogues ont augmenté de 240% entre 2015 et 2021, dépassant 10’000 morts annuelles – la plupart évitables avec un accès adéquat à la naloxone. Le système de soins, basé sur l’abstinence forcée et l’usage de neuroleptiques anciens aux lourds effets secondaires, pousse les patient·e·s à éviter les centres publics par peur du registre officiel qui peut entraîner pertes d’emploi, de permis de conduire ou visites des services sociaux.
Un cartel lucratif démantelé
L’enquête révèle que Bryun et ses associé·e·s ont monté un cartel vendant à l’État des tests de dépistage à prix gonflés, empochant des millions. En octobre 2024, Bryun a été condamné à 7 ans de prison pour fraude. Paradoxalement, les entreprises liées au cartel continuent d’opérer via de nouvelles sociétés créées par les familles des condamné·e·s, signant depuis 2022 pour 16 millions de francs de contrats gouvernementaux.
Un rappel crucial pour la Suisse
Ce cas extrême souligne l’importance vitale de défendre les approches de santé publique basées sur les preuves et les droits humains. La politique suisse des quatre piliers, incluant réduction des risques et traitements de substitution, a prouvé son efficacité depuis des décennies. L’exemple russe montre tragiquement ce qui arrive quand l’idéologie remplace la science, quand le secret médical est bafoué et quand la réduction des risques est abandonnée. Pour les professionnel·le·s romand·e·s, c’est un rappel de rester vigilant·e·s face aux tentatives de retour vers des approches purement répressives.