Révolution tabac: la fébrilité change de camp

14.02.2022

Ce dimanche 13 février 2022 restera comme un jour marquant dans le domaine des addictions. Le jour où la fébrilité a changé de camp. Pendant près de trente ans, le réseau addiction partait perdant sur la publicité. Trop longtemps, le résultat des initiatives jumelles[1] rejetées en 1993 aura hanté les esprits. Le combat ne pouvait être gagné, pensait-on. Toutes nos propositions se heurtaient à un mur compact, constitué d’organisations économiques, de professionnels, de la communication et d’intérêts mercantiles. Chaque proposition en faveur de la santé publique se fracassait sur cette alliance que l’on croyait invincible. Cela, c’était avant.

Ce défaitisme auquel nous nous étions tous habitués, un courageux groupe de personnes motivées a réussi à s’en débarrasser.  Elles ont osé relancer le débat en lançant une initiative populaire, acceptée ce week-end.  Critiquées par les uns, raillées par les autres, elles ont su persévérer pour mener le projet à bout, malgré les innombrables écueils d’une telle démarche. Avec des moyens 15 fois plus faibles que leurs adversaires, il est possible de damner le pion à plus puissant que soi, si on dispose de solides arguments. Oui, il est possible de faire gagner la raison contre les intérêts mercantiles d’industrie sans scrupules. Oui, même en Suisse centrale réputée hostile à la santé publique, une autre voix peut se faire entendre, ouvrant la voie à la majorité des cantons, conditions sine qua non pour adopter une initiative. Cela, nous le devons à une coalition d’organisations[2] qui ont su affronter avec calme toute la hargne et l’arrogance de groupes économiques trop sûrs de leur victoire. Membre de ce groupe, le GREA tient ici à remercier le comité d’initiative dans son entier pour son leadership et sa persévérance.

Avec ce résultat, le domaine des addictions se réveille dans un monde nouveau. Mais alors, qu’est-ce qui va changer réellement ? Gardons-nous de l’ivresse de la victoire. Le but n’est pas d’aller toujours plus loin dans les interdictions. La santé publique ne saurait serrer la vis toujours dans le même sens. Nos positions ne vont pas changer d’un iota. Il nous faut rester dans la ligne qui est la nôtre, celle de la régulation. C’est-à-dire celle qui demande des adaptations là où c’est nécessaire. Celle qui sait pertinemment que les addictions ne peuvent se traiter seulement à coup d’interdits et de morales. La règle de la loi doit contraindre les intérêts économiques quand cela s’avère nécessaire en particulier lorsqu’il s’agit de protéger nos enfants, les jeunes ou les personnes en situation de vulnérabilité. D’une évidence flagrante pour l’industrie du tabac, ce n’est pas forcément le cas pour tous les produits, ou par tous les acteurs. Le pragmatisme et la recherche de compromis doivent rester notre boussole.

En revanche, cette victoire nous rappelle une chose. Avec le temps, l’engagement paie. Avec la force de la conviction, il est possible de traverser bien des déserts avant d’arriver à ses fins. En démocratie, le peuple a toujours raison et avec le temps, même les positions les plus osées peuvent devenir une réalité. L’interdiction de la publicité pour le tabac vient nous le rappeler, tout comme la levée de la prohibition des drogues qui s’annonce. Ce signal fort ne va pas changer nos demandes et nos recommandations à l’intention de la politique et de la société. Par contre, elle vient nous donner la force de continuer, sans relâche, à porter haut et fort les idées qui nous animent.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_%C2%AB_contre_la_publ…

[2] https://www.enfantssanstabac.ch/initiative-comite/