Chaque jour, 20,5 millions de cigarettes sont fumées en Suisse (ESS 2017). Faut-il encore le rappeler ? Le tabac cause quelques 9'500 décès par année dans notre pays. Lorsqu’elle brûle, une cigarette conventionnelle génère plus de 5'300 substances nocives dont 70 cancérigènes identifiés (Secretan et al., 2009). Redisons-le encore clairement : si la nicotine rend dépendant, c’est bien la combustion du tabac qui tue dans l’écrasante majorité des cas.
En réduisant les dommages d’au moins 95% face aux cigarettes (Public Health England, 2015), la vape se profile donc comme l’outil de réduction des risques idéal en matière de tabacologie. La revue de littérature Cochrane (2022), qui compile plus de 78 études idoines dans le monde, montre que le vapotage avec nicotine est le moyen le plus efficace pour l’arrêt de consommation de tabac. En favorisant le passage d’envergure à ce mode de consommation, le vapotage offre la possibilité de réduire les conséquences négatives sur la santé et l’économie nationale par rapport à la consommation classique de tabac. Pourtant, la vape peine à s’imposer en Suisse comme véritable outil de réduction des risques, contrairement au Royaume-Uni, qui s’est engagé sur des campagnes de réduction des risques jusqu’à la prochaine prescription de la vape par les médecins (UK, 2021).
Il faut dire que ces dernières années, la vape a déferlé sur le marché suisse, pour le meilleur comme pour le pire. Prisée par un public jeune, la vape jetable – communément appelée puff – s’est répandue jusque dans les cours d’école. Les enseignant·e·s et directions ont alors commencé à alerter sur le problème et les études ont suivi : Promotion santé Valais (2023) puis Addiction Suisse, via l’étude quadriennale HBSC (2023) montrent que la consommation de puffs et d’autres produits du tabac augmente chez les jeunes dès l’âge de 11 ans. Tandis que dans l’espace public, on parle de « fléau », les initiatives de prévention se multiplient. La dernière campagne « Parlons puff », portée par la Ville de Lausanne et soutenue par de nombreux partenaires, adresse des messages chocs et simples aux jeunes dans le but de les détourner de la puff.
Ainsi, la consommation de nicotine augmente chez les jeunes, mais pas seulement à cause des puffs : l’enquête HBSC 2022, mentionnée plus haut, présente un résultat à notre sens encore plus alarmant. D’après cette étude, la consommation de cigarettes conventionnelles est restée stable ces dernières années chez les jeunes de 15 ans, et elle a carrément doublé chez les jeunes de 13 ans. Il s’agit là d’un constat d’échec cuisant pour la prévention et la réduction des risques en matière de tabac. Alors oui, la puff, c’est nul : la batterie jetable est une catastrophe environnementale, le marketing et le packaging visent clairement un public (trop) jeune, c’est un produit hyper accessible, etc. Mais rappelons que l’adolescence est un moment de la vie où l’on cherche à s’émanciper et tester de nouvelles choses : au GREA, on préfère que les jeunes testent la nicotine via la vape que via la cigarette. Et nous regrettons que les campagnes de prévention « anti-puff », qui se multiplient, ne s’accompagnent pas de messages « anti-cigarettes ».
Cette situation, nous la devons à l’attentisme politique des dernières années. Les premières vapoteuses ont débarqué sur le marché suisse en 2004. Vingt ans après et en l’absence de mesures structurelles pour encadrer ce marché, les puffs se vendent encore en totale légalité aux mineurs et ce jusque dans les boulangeries. Non seulement nous n’avons pas exploité le potentiel de réduction des risques offerts par la vape, mais nous avons laissé les coudées entièrement libres au marché, débouchant sur l’arrivée massive des produits dommageables pour l’environnement, le tout dans un packaging attrayant et sans aucune restriction publicitaire. Nous faisons ici les frais de l’absence de réflexion globale sur la place de la vape en matière de prévention du tabagisme et de l’absence de politique de réduction des risques en matière de nicotine.
La situation devrait commencer à s’améliorer dès l’année prochaine, espérons-le. La Loi sur les produits du tabac (LPTab), qui met en œuvre l’initiative « Enfants sans tabac », devrait alors entrer en vigueur et restreindre la vente des produits du tabac aux mineurs ainsi que la publicité. Les enjeux se situent aujourd’hui dans les questions de fiscalité : parallèlement à la LPTab, c’est la Loi fédérale sur l’imposition du tabac (LTab) qui est discutée en ce moment-même au Parlement.
Cette révision de la LTab prévoit d’inclure la vape, les puffs, les produits de tabac chauffé (tels que IQOS de Philip Morris) et de prélever de nouvelles taxes sur ces produits. Ce processus parlementaire fait suite à une motion acceptée en 2021 qui demande que cette nouvelle imposition tienne compte des risques plus faibles que représentent les cigarettes électroniques par rapport aux cigarettes conventionnelles. Malheureusement, le projet de loi tel que discuté actuellement au Parlement n’atteint pas du tout cet objectif : la proposition est d’ajouter une taxe de 20 centimes par millilitre de liquide dans les fioles pour vape ; de 1 francs par millilitre pour les puffs et de taxer les « autres produits de substitution », dont les produits IQOS, à 12% du prix de vente.
Sachant que les distributeurs répercutent habituellement leurs coûts sur les consommatrices et les consommateurs, selon nos estimations, un tel système de taxation donnerait lieu au résultat suivant :
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Prix hors taxe |
Taxe |
Prix de vente LTab |
Cigarettes |
Env. 4.- |
53% du prix de vente |
Env. 8,60.- le paquet |
IQOS |
8.- le paquet de 20 sticks |
12% du prix de vente |
Env. 9.- le paquet |
Vape |
6,50.- env. les 10 ml |
0,20.- par ml |
8,50.- |
En clair, avec le projet d’imposition actuel, la vape est clairement désavantagée par rapport aux systèmes heat not burn comme IQOS. Alors que ces systèmes sont taxés à 12 % du prix de vente, pour une fiole de 10ml de liquide, c’est une augmentation de 30 % du prix de vente, soit plus du double. Au final, la fiole de liquide pour vape reviendra plus ou moins au même prix que le paquet de cigarettes, à quoi il faut encore ajouter le prix de la vapoteuse et les cartouches de résistance qu’il faut changer régulièrement.
Nous le disions plus haut, la vape peine à s’imposer comme véritable outil de réduction des risques en Suisse. Le 8 mars dernier, lors des discussions au Conseil des États, les sénatrices et sénateurs étaient nombreux à réfuter l’efficacité de la vape pour arrêter de fumer et à souhaiter une imposition plus élevée, comme le rapporte le blog Vapolitique (15 mars 2023). Les arguments brandis sur l’absence de preuves scientifiques quant au potentiel de réduction des risques de la vape témoignent d’une triste méconnaissance du sujet. Le projet de loi doit maintenant être discuté par le Conseil national et le GREA espère vivement faire entendre raison à la Chambre du peuple. À terme, il nous faudra impérativement une politique cohérente sur la réduction des risques et les substituts nicotiniques, tels que les gommes et les pouches de nicotine, comme le rappelait le Prof. Reto Auer dans Dépendances (2022).
Au vu des nombreux articles de presse et campagnes de prévention, qui pointent le problème de la puff sans pour autant rappeler la prévalence de la consommation de cigarettes et ses dangers, ainsi que des projets politiques qui visent à augmenter fortement les prix de la vape sans pour autant augmenter celui de la cigarette, le message passé à la population n’est certainement pas le bon. S’il convient de prévenir l’arrivée de nouveaux consommateurs et consommatrices de nicotine, nous devons impérativement corriger le tir et encourager les fumeuses et les fumeurs à se tourner vers la vape, tant avec leur porte-monnaie qu’avec les bons messages.