Les addictions sont la maladie de notre temps. Il ne s’agit pas ici de tomber dans un quelconque impérialisme sanitaire, qui voudrait voir des malades et des maladies partout. Aujourd’hui comme hier, nos vies modernes continuent d’être remplies de dépendances de toutes sortes. Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Au-delà de la santé individuelle des personnes, un autre risque nous guette, plus grand, plus menaçant. Il dépasse de loin notre petit périmètre de la dépendance, voir même celui de la santé ou du social. C’est notre économie qui épouse la rationalité de l’addiction. Partout, le besoin de stimuler la demande par une offre agressive accroit le recours à tous les subterfuges pour capter le client, le fidéliser, voire l’attacher à une consommation devenue reine.
Le capitalisme limbique, concept développé par David Courtwright, rend compte de l’appropriation progressive par des intérêts financiers de notre cerveau limbique. Dans un marché gouverné par l’offre, caractéristique du capitalisme moderne, il est essentiel de pouvoir capter le désir des consommateurs, y compris à leur insu. À cette fin, toutes les connaissances des sciences psycho-sociales s’allient désormais à la puissance des techniques industrielles et des nouvelles technologies pour cannibaliser nos cerveaux, stimuler notre compulsivité, isoler les individus dans des plaisirs fugaces d’une société devenue addictogène. Le XXIe siècle attend une réponse à cette question.
Comme dans l’addiction classique, l’aliénation qui en résulte fait perdre les repères et oublier l’environnement dans lequel nous nous insérons. Sans une solution pour nous sortir de notre addiction à la consommation, sans défense sociale, communautaire et culturelle contre le capitalisme limbique, nous n’arriverons pas à répondre aux défis du futur. Aujourd’hui, c’est le climat qui est en crise, étouffé par notre soif d’énergie et de consommation effrénée. La société addictogène développe un trouble lié à la consommation. Aujourd’hui, ces enjeux n’ont jamais été aussi visibles, aussi importants et nous comptons sur le réseau des addictions pour apporter sa part, pour éclairer cette dure réalité, pour partager ce qu’il a appris au contact de ce comportement humain si naturel, la dépendance. Le travail dans les addictions est un travail de modération des dynamiques capitalistes outrancières. Le monde de demain, encore et toujours espace de tous les possibles, attend notre contribution. Continuons à le faire ensemble.
Quant à moi, après 17 ans passé avec vous toutes et tous pour défendre ces idéaux qui nous sont si chers, il est temps de laisser la place à d’autres pour animer notre mouvement. Nous sommes une force de propositions collective qui ne saurait rester ni statique, ni figée. Les styles et les personnes défilent, les valeurs restent. Il est temps de les incarner autrement. Pour ces nouveaux chapitres qui restent à écrire, le secrétariat du GREA est prêt, avec une équipe soudée et un niveau de compétences probablement encore jamais encore atteint. Notre petit domaine professionnel n’est pas très puissant, mais il a beaucoup de choses à dire. Et il ne doit pas se taire.
Ensemble, à tous les niveaux, continuons à promouvoir nos valeurs, à tisser des alliances et des coalitions, à provoquer le débat et le controverse. Notre association regroupe des spécialistes, mais son combat n’est pas corporatiste. Il concerne l’ensemble du corps social. À la veille de quitter le secrétariat général, je mesure le chemin accompli, mais aussi celui qui est devant nous. Redevenu simple membre, je me réjouis de continuer à y contribuer, et je souhaite plein succès à toute l’équipe et au comité pour les prochaines étapes.
Hasta la victoria !
Jean-Félix Savary, secrétaire général