La quétiapine : entre usage thérapeutique et détournement

Médicament couramment utilisé en psychiatrie, la quétiapine attire aujourd’hui l’attention pour des usages qui dépassent le cadre thérapeutique. Que ce soit en milieu carcéral, dans la gestion de l’agitation ou face à des prescriptions hors indication, plusieurs études récentes mettent en lumière des risques de mésusage. Point de situation.

On en entend de plus en plus parler, notamment en France en raison d’une pénurie majeure qui touche le secteur psychiatrique en ce début d’année 2025. Utilisée dans le traitement de plusieurs problématiques de santé mentale, notamment les troubles bipolaires et la schizophrénie, la quétiapine a également été pointée du doigt en Suisse, à la suite d’une étude menée en 2024 sur les consommations et addictions en milieu carcéral dans le canton de Fribourg, où elle figure parmi les médicaments fréquemment détournés. À partir de trois travaux scientifiques, cette synthèse propose un point de situation et présente les principales recommandations destinées aux professionnel·le·s de santé.

Qu’est-ce que la quétiapine ?

La quétiapine est un médicament de la famille des antipsychotiques atypiques, principalement utilisé pour traiter la schizophrénie, les troubles bipolaires et, dans certains cas, les épisodes dépressifs majeurs. Elle agit en influençant plusieurs systèmes de communication du cerveau, notamment ceux liés à la dopamine et à la sérotonine, deux substances chimiques impliquées dans la régulation de l’humeur, des émotions et du comportement. Cette modulation permet de réduire les symptômes psychotiques, de stabiliser l’humeur et d’atténuer l’anxiété.

En plus de ses effets antipsychotiques, la quétiapine possède également des propriétés sédatives marquées, ce qui explique qu’elle puisse être utilisée, parfois en dehors des indications officielles, pour traiter des troubles du sommeil. En Suisse, son usage est strictement encadré et elle est disponible uniquement sur ordonnance médicale, compte tenu de ses effets secondaires potentiels et du risque de mésusage observé dans certains contextes.

Quels sont les effets et les risques ?

Si la quétiapine est principalement prescrite pour ses propriétés antipsychotiques et stabilisatrices de l’humeur, ses effets sédatifs et anxiolytiques marqués la rendent également susceptible d’un usage détourné. À fortes doses ou en dehors du cadre médical, elle peut induire des sensations de relaxation profonde, d’euphorie ou encore atténuer les symptômes de sevrage liés à d’autres substances.

Déjà en 2011, l’Institut national de santé publique du Québec s’interrogeait sur le potentiel de la quétiapine comme « drogue d’abus ». Le communiqué soulignait que, malgré certaines zones d’ombre autour de son détournement, l’apparition de surnoms comme « Susi-Q » ou « Baby Heroin » indiquait une présence sur les marchés illicites.

Des cas de mésusage ont été rapportés dans différents contextes, notamment en milieu carcéral ou psychiatrique, où la quétiapine est parfois utilisée comme substitut aux opioïdes, aux benzodiazépines ou comme moyen d’évasion psychique. Elle peut être détournée par ingestion de fortes doses, inhalation de comprimés écrasés ou injection de comprimés dissous, augmentant considérablement les risques sanitaires.

Les risques associés à ces usages comprennent la somnolence excessive, des troubles de la coordination, des effets métaboliques (prise de poids, troubles du métabolisme du sucre et des lipides), des complications cardiovasculaires, ainsi que des symptômes de sevrage en cas d’arrêt brutal. Dans certains cas, la quétiapine est combinée à d’autres substances comme la cocaïne pour potentialiser ses effets, un mélange connu sous le nom de « Q-ball », qui expose à des risques accrus.

En définitive, si la quétiapine n’est pas considérée comme une substance addictive au sens strict, elle présente néanmoins un potentiel de mésusage et de dépendance psychologique, en particulier dans certains contextes et auprès de populations vulnérables ayant des troubles liés à l’usage de substance, sans compter des effets secondaires parfois graves. Il est donc essentiel pour les professionnels de santé de rester vigilants lors de la prescription de ce médicament, notamment chez les personnes à risque.

Quelles recommandations?

Plusieurs revues de littérature et articles récents ont été consacrés au mésusage de la quétiapine. Trois exemples sont présentés ci-dessous, accompagnés d’une série de recommandations issues des analyses effectuées.

À l’issue de leurs recherches et revues de littérature, les différents spécialistes formulent des recommandations souvent convergentes. Voici une synthèse des points les plus saillants :

  1. Sensibiliser les professionnel·le·s de santé aux risques de mésusage, d’abus, de dépendance et de sevrage associés à la quétiapine.
  2. Évaluer rigoureusement le rapport bénéfice/risque avant toute prescription, en particulier chez les personnes jeunes, détenues, ou ayant des antécédents de troubles liés à l’usage de substances.
  3. Limiter autant que possible les prescriptions hors indication officielle, notamment pour des troubles anxieux légers ou des insomnies.
  4. Privilégier les approches non médicamenteuses pour traiter l’agitation, l’anxiété légère ou les troubles du sommeil.
  5. Éviter de recourir aux antipsychotiques en première intention en l’absence de diagnostic psychiatrique clair.
  6. Limiter les quantités prescrites par ordonnance pour réduire les risques de détournement.
  7. Préférer les formulations à libération prolongée pour réduire le potentiel de mésusage, notamment en milieu carcéral.
  8. Mettre en place un suivi rapproché des personnes ayant une prescription de quétiapine, avec une attention particulière aux signes précoces de mésusage.
  9. Notifier les cas de mésusage aux autorités compétentes en matière de pharmacovigilance ou d’addictions.
  10. Organiser un benchmarking entre établissements pour surveiller les pratiques de prescription et détecter les dérives.