Ce mercredi 8 février 2023, le quotidien vaudois « 24 Heures » a publié une série d’articles ainsi qu’un éditorial sur l’arrivée de la cocaïne basée, prête à l’emploi, connue sous le nom de crack, dans le Nord Vaudois. Ces articles dépeignent une vision catastrophiste de la situation dans le canton, comparée à Paris, où les usagères et usagers sont pointés du doigt. Au-delà des termes utilisés, tels que « zombies » ou « drogués émaciés et agressifs », qui contribuent à la stigmatisation de personnes dans des situations de vulnérabilité extrêmes et qui sont évidemment à proscrire, ces articles passent totalement sous silence l’inaction politique qui conduit à cette montée du crack.
La hausse de la consommation de crack fait beaucoup de bruit depuis maintenant une année : les médias publient régulièrement des articles et reportages alarmistes, et les politicien·ne·s se sont emparé·e·s du sujet : à Genève, des motions sont déposées au niveau de la Ville et du Canton pour trouver des solutions ; dans le Canton de Vaud, on renforçait la répression du deal de rue en décembre dernier. Pour les professionnel·le·s des addictions, les enjeux sont bien réels. La hausse de la consommation de crack, qui concerne des personnes dans des situations de précarité extrême, met sous pression les structures spécialisées qui n’ont pas les moyens suffisants pour y faire face.
En France, la situation nous projette dans une autre dimension. Trente ans après le Letten et le Platzspitz, Paris a vu naître ses propres scènes ouvertes de consommation Porte de la Chapelle et Porte de la Villette. Les forces de l’ordre ont dispersé des camps de 400 personnes, les déplaçant d’un endroit à un autre, tout en refusant aux associations sociosanitaires d’ouvrir des espaces d’accueil et de consommation sécurisée. Ces camps de fortune sont désertés par les pouvoir publics, qui abandonnent des personnes précaires et vulnérables dans des conditions d’hygiène et de misère révoltantes.
La Région Île-de-France compte plus de 21 millions d’habitant·e·s et une seule salle de consommation à moindre de risque, à la Gare du Nord. Cette salle accompagne jusqu’à 400 passages par jour et seulement pour des injections. En période de Covid, l’association Gaïa, qui gère la salle, a ouvert des places d’inhalation avant de renoncer, face à l'impossibilité de répondre à la demande. Gaïa ne dispose que d’une antenne mobile pour intervenir Porte de la Chapelle, où elle reçoit plus de 300 personnes par jour pour des soins. Non seulement les autorités françaises refusent l’ouverture d’une seconde salle de consommation sécurisée, mais en plus la salle de la Gare du Nord est en sursis : elle est en expérimentation jusqu’à fin 2025. Passé ce délai et en l’absence de stratégie politique, elle pourrait bien fermer.
L’apparition de scènes de crack est la conséquence de choix politiques orientés sur la répression : après 50 ans de guerre à la drogue, les organisations criminelles qui produisent, exportent et vendent la drogue se sont professionnalisées. Actives sur un marché extrêmement lucratif, elles innovent pour échapper à la surveillance et produire des substances toujours plus fortes et concentrées, qui se vendent en plus petites doses et qui sont donc moins chères, mais plus rentables. Les stimulants ne sont pas les seules substances concernées : dans la catégorie des opioïdes, le fentanyl en est un autre exemple. La vente de « cailloux » prêts à l’emploi est une innovation logique d’une industrie criminelle et capitaliste qui cherche à maximiser ses profits, au mépris de la santé et de la vie de ses client·e·s.
Pour le 24 Heures, « Le problème du crack reste insoluble, tout est encore à inventer », ce qui, en fait, est complètement faux. Voilà des décennies que les professionnel·le·s des addictions décrient et documentent l’échec de la guerre à la drogue et proposent des solutions. En Suisse comme en France, les professionnel·le·s réclament plus de moyens pour les salles de consommation à moindres risques, des espaces de repos pour permettre aux usagères et usagers de crack de souffler, des équipes de travail social mobile pour aller à la rencontre des personnes dans la rue, des hébergements de nuit car comme le rappelait Thomas Herquel, Directeur de Première Ligne, au micro de la RTS, quand on dort dans la rue, on a peur, on a froid et on peut se faire agresser : consommer de la drogue est une stratégie de survie.
Et puis il faut rappeler, surtout, qu’avant d'être un problème de drogue, le crack est un problème de précarité sociale et financière. Les personnes qui consomment du crack ne sont en fait qu’une infime partie des personnes qui consomment de la cocaïne, sauf que celles-ci dérangent, parce qu’elles sont pauvres, qu’elles dorment dehors et sont visibles dans l'espace public. Donnons-nous les moyens de politiques progressistes, tournées vers la réduction des risques, le logement, la santé et la sortie de la grande précarité. Oublions la guerre à la drogue.
Les solutions existent : ce qu’il manque, c’est la volonté politique de les implanter.