La fin de la période glaciaire sur les drogues

06.05.2021

20 ans. C’est la durée de la période glaciaire qui s’est abattue sur la politique drogue de notre pays. Pendant 20 ans, les « Dr Yaka » ont dominé l’agenda fédéral. Des compromis intelligents ont certes été trouvés, comme la révision partielle de la LStup en 2008, ou les essais pilotes cannabis en 2020. Mais ils possèdent tous le même défaut. Ils manquent d’une vision globale, d’un renouveau du regard sur les drogues qui permettrait de nous arracher enfin à cette vision nocive et guerrière inventée dans les années 70, celle de la guerre à la drogue, qui se transforme toujours en une « guerre aux consommateurs ». Ruth Dreifuss avait tenté le pari en 2001, avec son message aux chambres fédérales. Son courage politique n’aura cependant pas trouvé grâce au Parlement fédéral. En 2003, ce dernier élisait Christoph Blocher et balayait son projet réformateur.

Mais les faits sont têtus. Notre Ruth Dreifuss avait raison. Une politique doit s’adapter à la réalité, et non l’inverse. Les tentatives pour changer l’être humain nous ont fait assez de mal dans un XXe siècle si douloureux. Les drogues sont là, pour ainsi dire sous nos yeux, dans nos rues, autour de nous, chez nos voisins, amis, collègues, enfants, parents. Plutôt que de se lamenter sur l’imperfection de notre condition, il est temps de réduire les risques de leurs utilisations. Il n’y a ici aucune fatalité, mais une posture de responsabilité, individuelle et collective. Ces produits jouent avec notre cerveau et notre corps. Dans certains contextes, elles peuvent rencontrer des histoires de vie spécifiques et nous empêcher de vivre, parfois même d’en mourir. Alors que ces produits promettent tant lors des premiers usages, ils ne peuvent et ne doivent pas rester dans la liberté totale que leur donne la prohibition. Nous devons les contrôler, pour mettre fin aux violations des droits humains et aux inégalités de santé criantes que le système actuel provoque.

Aujourd’hui, le climat s’est soudain réchauffé et nous pouvons à nouveau regarder vers l’avant. Le Conseil fédéral retrouve le goût d’une vision claire et pragmatique en publiant un rapport visionnaire en réponse au postulat Rechtsteiner. Il n’a plus peur d’éviter le débat et regarde sans complaisance les manquements de sa propre politique. Répression excessive, inégalités territoriales, crise des financements, les constats du terrain sont tous repris par le Conseil fédéral. Avec cette nouvelle perspective, une ère nouvelle pourrait voir le jour. Mais nos sept sages ont perdu le courage de l’action. Ils n’osent plus. Après avoir dressé le constat d’une nécessité des réformes, le Conseil fédéral baisse la tête et renonce à agir. Non, la Suisse ne peut pas résoudre les problèmes identifiés, elle ne serait pas prête.

Mais alors même que le Conseil fédéral craint de passer à l’acte surgit le renfort inespéré, tel un Blücher qui déboule sur la plaine de Waterloo et met fin à la guerre. Avec une vigueur retrouvée, modernisé, rajeuni et féminisé, le Parlement entre en scène le même jour et vote en faveur de la régulation du marché du cannabis. En ce 28 avril 2021, la commission santé dit oui à l’initiative Siegenthaler. Alors que le Conseil fédéral fait enfin preuve de courage dans son diagnostic, le Parlement saisit la balle et apporte l’énergie et la détermination que n’a plus notre gouvernement pour lancer les travaux. Les années 90 avaient vu un Conseil fédéral leader sur la question, se reposant sur l’expertise de militants, faisant face à un parlement en retard d’une guerre. 2021 ouvre une ère nouvelle. Un Conseil fédéral qui se s’appuie à nouveau sur une expertise du terrain, qui trouve dans le Parlement un nouvel allié pour porter le débat au niveau qu’il mérite : le grand débat social sur les drogues que nous attendons depuis si longtemps. Dans les drogues aussi les glaciers reculent.