Le président Donald Trump a partagé sur les réseaux sociaux des vidéos montrant ces attaques, affirmant viser des membres du gang vénézuélien « Tren de Aragua », désigné organisation terroriste par Washington. Pourtant, les données sur les flux de drogues révèlent un décalage complet entre ces actions militaires et les réalités du trafic.
Une opération qui viole le droit international
Selon une analyse du Washington Office on Latin America (WOLA) reprise par l’International Drug Policy Consortium (IDPC), ces frappes marquent une rupture sans précédent : pour la première fois documentée, les forces nord-américaines recourent immédiatement à une force létale disproportionnée contre des navires civils soupçonnés de trafic, sans justification de légitime défense. Pendant des décennies, la Marine et les garde-côtes nord-américains ont intercepté des milliers de tonnes de cocaïne dans les Caraïbes sans employer ce type de violence. Dans le cas présent, ces frappes violent la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, l’article 51 de la Charte de l’ONU et le manuel du Pentagone sur les lois de la guerre, qui imposent tous une gradation proportionnée de la force.
Un décalage total avec les réalités du trafic
Une analyse du New York Times basée sur les données de la Drug Enforcement Administration (DEA), de la Colombie et des Nations unies contredit par ailleurs frontalement le discours officiel. Le Venezuela joue un rôle marginal dans l’approvisionnement des États-Unis en drogues : 74% de la cocaïne destinée au marché américain transite par le Pacifique, non par les Caraïbes. Quant au fentanyl, au cœur de la crise des overdoses, il est quasi exclusivement fabriqué au Mexique à partir de précurseurs chimiques asiatiques. Le Venezuela n’y joue aucun rôle.
La plupart de la cocaïne entre aux États-Unis par voie terrestre à travers la frontière mexicaine, où les cartels mexicains contrôlent l’essentiel du trafic. Dans les années 1980-1990, les Caraïbes constituaient la principale route, mais le trafic s’est massivement déplacé vers le Pacifique. Selon InSight Crime cité par IDPC, le gang « Tren de Aragua » invoqué pour justifier les frappes serait en déclin et n’aurait pas été lié à des expéditions importantes de cocaïne vers le marché nord-américain.
Une instrumentalisation géopolitique classique
Pour les analystes régionaux, ces frappes visent avant tout à exercer une pression sur le président vénézuélien Nicolas Maduro. En août 2024, Washington a désigné le « Cartel de los Soles » comme organisation terroriste et porté la récompense pour la capture de Maduro à 50 millions de dollars. James Story, ancien ambassadeur des États-Unis au Venezuela, compare l’usage de la force militaire contre de petits bateaux de trafic à l’utilisation d’un chalumeau pour cuire un œuf, estimant que les trafiquants se réorganiseraient de toute façon.
Cette escalade s’inscrit dans une longue tradition d’instrumentalisation de la lutte antidrogue en Amérique latine. Du « Plan Colombie » aux programmes d’éradication forcée des cultures dans les Andes, ces opérations ont majoritairement privilégié les objectifs de politique étrangère au détriment des approches de santé publique, générant violence, déplacements forcés et violations des droits humains sans réduire l’ampleur des marchés.
Les dérives d’une logique répressive
Cette militarisation illustre comment la rhétorique sécuritaire de la guerre contre la drogue sert de paravent à des agendas politiques déconnectés des réalités sociales et sanitaires. Alors que d’autres pays, à l’instar de la Suisse, mettent en œuvre des politiques de réduction des risques et explorent ou ont privilégié la décriminalisation, les États-Unis persistent dans une logique répressive qui échoue à réduire les dommages tout en générant de nouvelles violations des droits fondamentaux. Pour IDPC et WOLA, si ces frappes préfigurent d’autres opérations militaires de ce type, elles établissent un précédent dangereux qui risque de normaliser les exécutions extrajudiciaires en haute mer et d’éroder davantage les normes internationales protégeant les droits humains.