Clonazépam (Rivotril) en Suisse : entre usage thérapeutique et réalités du terrain

Ces dernières années, le clonazépam – plus connu du grand public en Suisse, en France ou en Belgique sous son nom commercial de Rivotril – suscite une attention croissante en raison de son usage détourné dans certains contextes spécifiques. Initialement prescrit pour traiter l’épilepsie, cette benzodiazépine soulève de plus en plus de questions quant à son utilisation hors cadre médical. Point de situation.

Comme d’autres benzodiazépines, le clonazépam est prescrit pour ses propriétés thérapeutiques, notamment en neurologie. Toutefois, ses usages détournés suscitent depuis plusieurs années une attention croissante de la part des autorités et des professionnel·le·s, que cela soit du champ sociosanitaire, carcéral, ou encore du domaine de l’asile et des migrations. La récente saisie de plus de 14 000 comprimés de Rivotril à la frontière franco-suisse témoigne de son utilisation bien au-delà du cadre médical. Par ailleurs, le clonazépam est aussi impliqué, aux côtés d’autres produits, dans des cas de « soumission chimique », phénomène signalé dès le début des années 2000 et revenu sur le devant de la scène ces dernières années.

Qu’est-ce que le clonazépam ?

Le clonazépam est un médicament appartenant à la classe des benzodiazépines. Commercialisé sous différents noms, dont le plus connu est Rivotril, il est prescrit principalement pour traiter certaines formes d’épilepsie. Il agit en modulant l’activité du neurotransmetteur GABA dans le cerveau, ce qui permet de réduire l’excitabilité neuronale et de prévenir les crises.
Contrairement à d’autres benzodiazépines plus fréquemment utilisées pour traiter l’anxiété ou les troubles du sommeil, le clonazépam est avant tout un médicament à indication neurologique, destiné à traiter des troubles comme l’épilepsie ou certains syndromes convulsifs. Il est donc prescrit, en priorité, dans le cadre de prises en charge spécialisées.

Par ailleurs, le clonazépam possède une longue demi-vie, ce qui signifie qu’il reste actif dans le corps pendant une durée prolongée (jusqu’à 60 heures). Cette particularité peut entraîner une accumulation du médicament en cas de prises répétées et compliquer le sevrage en cas d’arrêt. Ces caractéristiques, combinées à ses effets sédatifs marqués, en font une molécule à haut potentiel de détournement. Pour ces raisons, le clonazépam, comme l’ensemble des benzodiazépines, nécessite une vigilance particulière, tant dans la prescription que dans le suivi, en raison de son potentiel de détournement et de dépendance.

Quels sont les effets et les risques ?

Bien que le clonazépam soit avant tout un médicament à visée thérapeutique, il possède des effets psychoactifs qui le rendent attractif en dehors du cadre médical. À doses normales, il a un effet calmant, mais à fortes doses, il peut induire une sensation d’euphorie, une réduction marquée de l’anxiété et un état de sédation. Ces effets recherchés par certains consommateurs et consommatrices expliquent son usage détourné.

Son usage comporte des risques, en particulier de dépendance et de tolérance dans le cas d’une utilisation régulière. Les effets secondaires peuvent être importants : confusion, somnolence, vertiges, troubles de la coordination ou encore difficultés respiratoires, surtout en cas de prise concomitante avec d’autres substances comme l’alcool, les opioïdes ou d’autres benzodiazépines. L’arrêt brutal peut provoquer un syndrome de sevrage, accompagné de symptômes tels que l’insomnie, l’irritabilité ou l’anxiété accrue. En cas de polyconsommation, le risque d’accidents est fortement accru.

La situation est particulièrement préoccupante dans les environnements fermés, comme les établissements pénitentiaires, où le clonazépam est parfois détourné à des fins non médicales. Il peut y être utilisé comme moyen d’évasion psychique ou servir de monnaie d’échange, ce qui complique sa gestion et soulève des enjeux spécifiques en matière de santé publique et de sécurité.

Quelles recommandations ?

Face aux usages détournés du clonazépam et aux enjeux cliniques et sociaux qu’ils soulèvent, plusieurs mesures peuvent être envisagées à différents niveaux pour encadrer son utilisation et limiter les risques. Les recommandations qui suivent s’appuient sur deux sources principales : un dossier publié dans la revue Swaps consacré aux mésusages du Rivotril (Swaps n°47, 2007), et un article de Grandjean et collègues publié en 2021 dans la Revue Médicale Suisse, intitulé « Recommandations de prise en charge des mésusages et addictions aux benzodiazépines » (version abonné·e·s).

1. Encadrement médical rigoureux

  • Prescrire le clonazépam uniquement dans les indications reconnues (épilepsie) et documenter toute utilisation hors Autorisation de Mise sur le Marché (AMM, délivrée en Suisse par Swissmedic), c’est-à-dire en dehors des indications officiellement approuvées (par exemple, pour traiter l’anxiété ou les troubles du sommeil).
  • Limiter la durée de traitement : éviter les prescriptions prolongées, notamment en cas d’anxiété ou de troubles du sommeil.
  • Mettre en place un suivi rapproché, en particulier chez les personnes présentant des antécédents de dépendance ou de polyconsommation.

2. Prévention du mésusage

  • Sensibiliser les professionnel·le·s de santé (médecins, pharmacien·ne·s, infirmier·e·s) aux risques de dépendance et aux signes de mésusage.
  • Renforcer les dispositifs de surveillance des prescriptions (recherche de prescriptions multiples ou de demandes suspectes).
  • Encourager une collaboration étroite entre les médecins traitants, les psychiatres et les addictologues, notamment en cas de comorbidité psychiatrique.

3. Approche individualisée du sevrage

  • Ne jamais interrompre brutalement le traitement : mettre en place un plan de réduction progressive, adapté aux besoins de la personne.
  • Adapter le sevrage avec une réduction progressive des doses. Dans certains cas particuliers (effets secondaires mal tolérés, formulation peu adaptée, interactions), il peut être pertinent de basculer vers une autre benzodiazépine à profil pharmacologique plus stable (ex. : diazépam), bien que le clonazépam ait déjà une demi-vie longue.
  • Proposer un accompagnement psycho-social et, si besoin, une prise en charge en milieu spécialisé.

4. Mesures spécifiques en milieu fermé (prisons, institutions spécialisées)

  • Encadrer strictement la remise de médicaments dans les établissements pénitentiaires.
  • Former les équipes médicales à reconnaître les détournements et pratiques de troc.
  • Privilégier, lorsque cela est possible, des alternatives thérapeutiques non addictogènes ou à plus faible potentiel de mésusage.

5. Approche de santé publique et réduction des risques

  • Favoriser des campagnes d’information à destination des usagers et du grand public sur les dangers du mésusage du clonazépam/Rivotril.
  • Mettre en place ou soutenir des dispositifs de réduction des risques, notamment en lien avec la polyconsommation (alcool, opioïdes, autres benzodiazépines).
  • Encourager la recherche sur les usages détournés en Suisse afin d’adapter les politiques de prescription et de régulation.