Juriste, membre du Parti libéral-radical, successivement procureur général du Canton du Tessin, conseiller d’État, puis député au Conseil des États du même canton, Dick Marty était connu pour ses enquêtes courageuses, notamment sur les prisons secrètes de la CIA dans les années 2000, ou plus récemment pour son implication en faveur de l’initiative pour des entreprises responsables. Il est décédé en décembre de l’année passée, et laisse une pensée à la fois progressiste, humaniste et engagée, notamment en matière de drogues.
En effet, force est de constater qu’il gagnerait à être connu également pour sa perspective sur des questions d’addictions et de drogues, « fil rouge » l’ayant accompagné tout au long de son parcours, mais qui n’a pas été son occupation principale, pour reprendre ses termes. Il avait d’ailleurs participé au colloque consacré aux 50 ans du GREA il y a 10 ans, dont les actes ont été publiés par l’Institut de recherches sociologiques de l’Université de Genève et par le GREA. Morceau choisi, plus d’actualité que jamais :
Dans les années septante, on affirmait que rendre punissable la consommation avait un effet de prévention et servait ainsi à protéger la jeunesse. Mais cette répression était finalement devenue une précieuse alliée des grands trafiquants. Une importante action de sensibilisation au niveau mondial est nécessaire. Seul un changement de paradigme est à même de nous offrir une meilleure perspective d’avenir. Au lieu d’essayer d’éliminer ce marché, il faut l’accepter comme une réalité, il faut l’occuper et le réguler.
Cette affirmation repose sur les conclusions d'un certain nombre d'enquêtes réalisées, notamment sur les réseaux de blanchiment d'argent, de Zürich à la Colombie, en passant par le Mexique, les États-Unis, le Liban ou encore la Turquie. Ce sont également ces investigations qui l'amèneront à des positionnements à la fois critiques et éclairés, et à élever la voix contre la double morale et une certaine hypocrisie du système. Second morceau choisi:
Le prohibitionnisme en matière de drogue était une voie sans issue, […] il a directement contribué à produire le plus important phénomène criminel de tous les temps. Ce dernier alimente toute sorte d’autres trafics, il infiltre l’économie avec un effet de contamination morale et de diffusion à grande échelle de la corruption. La répression n’atteint presque jamais les hauts étages du crime organisé qui gèrent ces grands trafics de drogue. La répression des petits poissons sert cependant à entretenir un certain niveau des prix et à assurer des profits fabuleux à un cercle restreint d’intouchables. […] L’argent facile de la drogue est en fait devenu un facteur économique de grande importance, ce qui explique aussi pourquoi on ne s’attaque pas à la racine du problème. Si on pense que le chiffre d’affaires du trafic de drogue est estimé à environ trois cents milliards de dollars par année il est évident que cet argent est désormais devenu un véritable facteur de portée géopolitique.
Le GREA salue son engagement et ses perspectives critiques sur la criminalisation de la consommation de drogues, ainsi que sur l’essor des trafics et les problématiques sociosanitaires qui en découlent.