Le nombre de victimes a considérablement augmenté depuis septembre 2025. Les données compilées par le Washington Office on Latin America (WOLA) recensent désormais au moins 61 personnes tuées lors de 14 frappes distinctes sur des embarcations civiles. La première attaque avait fait 11 morts sur un bateau de pêche dans les eaux colombiennes, selon le président Gustavo Petro. Le commandant du Commandement sud des États-Unis (SOUTHCOM) aurait démissionné après avoir exprimé des inquiétudes sur la légalité de ces opérations.
Des révélations de CNN et du Wall Street Journal éclairent les dysfonctionnements du processus décisionnel. Les avocat·e·s militaires et juristes civils du département de la Défense auraient été systématiquement exclu·e·s de la planification de ces frappes. Un décret présidentiel du 18 février 2025 impose désormais que toute interprétation juridique se conforme aux positions du président, interdisant toute dissidence juridique. Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth a limogé les Judge Advocates General de l’armée de terre et de l’air, les qualifiant d’« obstacles ».
Une analyse juridique approfondie de Just Security démontre que cette marginalisation des expert·e·s juridiques crée un précédent rappelant les dérives des « torture memos » de l’ère post-11 septembre. L’Office of Legal Counsel du département de la Justice aurait rédigé un mémorandum justifiant ces frappes, mais ce document reste classifié. Cette absence de transparence contraste avec les précédents historiques : après les opérations militaires en Libye (2011) et en Syrie (2018), les mémorandums juridiques avaient été publiés dans les semaines suivantes. De nombreux·euses ancien·ne·s avocat·e·s gouvernementaux, ayant servi sous des administrations républicaines et démocrates, qualifient désormais ces frappes d’illégales aux yeux du droit international.
Les données historiques démontrent l’inefficacité des approches militarisées du contrôle de l’offre, quelle que soit leur forme. Depuis des décennies, les États-Unis déploient un arsenal varié de stratégies répressives : programmes d’éradication aérienne des cultures de coca et de pavot en Amérique latine, utilisation de technologies de surveillance par satellite et drones pour le repérage des cultures et des routes de trafic, soutien logistique et militaire aux forces de sécurité locales, ainsi que des extraditions massives. Entre 2019 et 2023, le Mexique a extradé en moyenne 65 personnes soupçonnées d’avoir un lien avec le trafic vers les États-Unis annuellement, la Colombie plus de 1’200 sur trois mandats présidentiels. Le SOUTHCOM détectait entre 350 et 700 embarcations soupçonnées de narcotrafic annuellement, représentant environ un quart de tous les navires de contrebande dans la région.
Malgré ces investissements considérables en moyens humains, technologiques et financiers, aucune de ces opérations n’a affecté durablement l’approvisionnement en substances ni affaibli structurellement le crime organisé. Les cultures se déplacent vers de nouvelles zones, les routes de trafic s’adaptent, et les organisations criminelles se recomposent. L’escalade actuelle des frappes militaires s’inscrit dans cette logique répressive dont l’échec est désormais amplement documenté. Une intensification de cette stratégie pourrait conduire à des centaines de frappes supplémentaires, sans modifier fondamentalement les dynamiques du marché illégal des substances.
Au-delà du contexte américain, plusieurs initiatives progressistes émergent au niveau international. Le Portugal maintient sa politique de décriminalisation de la consommation personnelle depuis 2001, avec des résultats probants en matière de santé publique. Les Pays-Bas continuent d’expérimenter avec des approches pragmatiques de régulation. Au Canada, certaines provinces ont obtenu des exemptions fédérales pour décriminaliser temporairement la possession de petites quantités de substances. Ces expériences européennes et nord-américaines démontrent qu’une alternative est possible aux logiques purement répressives.
Lorsque la guerre contre les substances devient littéralement une guerre contre des personnes civiles, sans base légale et en contradiction avec les données disponibles, elle révèle sa nature idéologique. La Suisse, avec son approche des quatre piliers et son refus de subordonner les impératifs sanitaires aux logiques purement répressives, démontre qu’une telle alternative peut s’ancrer durablement dans un cadre national. Les professionnel·le·s romand·e·s du domaine des addictions peuvent s’appuyer sur ces expériences pour continuer à promouvoir des politiques fondées sur les preuves scientifiques et le respect des droits humains.