La revue française Politiques des drogues vient de publier un numéro hors-série inédit consacré aux droits humains et aux politiques en matière de drogues. Ce volume reprend les actes du colloque international organisé en novembre 2024 au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), en partenariat avec le Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe et le Forum Drogues Méditerranée, avec la participation du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies.
Cette publication réunit des contributions d’horizons variés : représentant·e·s d’institutions internationales, chercheur·euse·s, responsables associatifs et décideur·euse·s politiques. L’ensemble offre un panorama complet des enjeux actuels liant politiques des drogues et protection des droits fondamentaux.
Le numéro présente les positions officielles de plusieurs organisations internationales majeures. Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU y développe une analyse critique des politiques punitives actuelles, soulignant leur échec à réduire la consommation tout en générant des violations systématiques des droits humains. Le document appelle à un « changement transformateur » privilégiant des approches centrées sur la santé et la dignité des personnes.
Le Groupe Pompidou présente son nouvel outil d’orientation adopté en novembre 2024, visant à aligner les politiques nationales sur les normes internationales en matière de droits humains. Ce document identifie les droits à protéger et propose des mécanismes d’évaluation pour les États membres du Conseil de l’Europe.
Plusieurs contributions documentent les effets disproportionnés des politiques répressives sur certains groupes. Les femmes représentent 35 % des personnes emprisonnées pour infractions liées aux substances, contre 19 % pour les hommes, alors que les services de réduction des risques existants ne répondent pas à leurs besoins spécifiques. Les jeunes, les populations d’ascendance africaine et les peuples autochtones subissent également de manière disproportionnée les conséquences de politiques fondées sur la criminalisation.
L’International Drug Policy Consortium rappelle que les politiques actuelles génèrent une crise de santé publique, avec près d’un demi-million de décès évitables chaque année liés à la consommation de substances. L’organisation documente comment la guerre contre la drogue a davantage été un outil de contrôle racial qu’un moyen efficace de réguler les marchés.
Le numéro accorde une large place au contexte français, avec des analyses sur l’application des politiques répressives, leurs impacts sur l’accès aux soins et les violations des droits fondamentaux. La Ligue des droits de l’Homme y développe une critique structurelle des approches punitives et de leur dimension néocoloniale, tandis que Médecins du Monde présente les dispositifs de réduction des risques encore insuffisamment développés, notamment les Haltes Soins Addictions.
L’Observatoire international des prisons aborde la question cruciale des droits des personnes détenues, population particulièrement vulnérable face aux carences en matière de réduction des risques en milieu carcéral.
La publication documente également des exemples positifs de pays ayant adopté des approches fondées sur les droits humains : le Portugal avec sa dépénalisation de la consommation personnelle, la Suisse avec ses salles de consommation supervisée, l’Australie avec l’accès gratuit à la naloxone, ou encore l’Écosse avec sa Charte des droits pour les personnes affectées par l’usage de substances.
Ces expériences démontrent qu’une approche centrée sur la santé et les droits humains peut réduire efficacement la mortalité, les infections et les conséquences sociales négatives associées à la consommation de substances.
Pour les professionnel·le·s romand·e·s du domaine des addictions, ce numéro spécial constitue une ressource précieuse. Il offre un cadre d’analyse international permettant de contextualiser les pratiques suisses en matière de politique des quatre piliers et de réduction des risques. Les contributions sur les outils d’évaluation du Groupe Pompidou et les lignes directrices internationales peuvent éclairer les débats locaux sur le renforcement des dispositifs d’accueil à bas seuil et l’extension des mesures de réduction des risques.
La Suisse, pionnière en matière de politique pragmatique des drogues, peut s’inspirer de ces analyses pour poursuivre le développement de ses dispositifs tout en veillant à une application cohérente des principes de dignité et de non-discrimination sur l’ensemble du territoire.
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