France : usages et marchés de drogues, les tendances 2024

L’OFDT publie son rapport annuel sur les évolutions des marchés et des consommations: Migration numérique des trafics et précarisation accrue des personnes usagères marquent 2024. Certains des constats de ce rapport font échos aux observations de terrain faites par les profesionnel·le·s suisses romands.

Le dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND) de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) documente depuis 1999 les évolutions dans le champ des substances illicites. Son rapport 2024 révèle une transformation majeure des modalités de trafic suite aux annonces de contrôles sur Telegram en septembre 2024.

De nombreux comptes tenus par les organisations de trafic ont ainsi migré vers d’autres applications, notamment Potato, WhatsApp et Signal. L’application Potato, au fonctionnement proche de Telegram, semble avoir particulièrement servi d’application de repli. Ces plateformes continuent d’héberger des canaux regroupant parfois plusieurs milliers d’abonnés, qui fonctionnent comme des annuaires répertoriant les réseaux actifs sur un territoire. Certains proposent même des offres d’emploi détaillant les conditions de travail pour les livreurs ou vendeurs.

Marché de l’héroïne : disponibilité maintenue malgré l’effondrement de la production

Malgré la diminution drastique de la production mondiale d’héroïne suite à l’interdiction de la production de pavot par le régime taliban en avril 2022, la disponibilité de la substance ne faiblit pas sur le territoire français. Cette situation pourrait résulter de stocks importants accumulés. Les prix restent globalement stables par rapport à 2023, avec toutefois de fortes variations selon les territoires et la qualité affichée.

Les taux de pureté demeurent très variables, fréquemment peu élevés (inférieurs à 6 %), ce qui engendre des reports vers d’autres produits comme les médicaments opioïdes ou la cocaïne. Des perturbations de l’offre persistent en Seine-Saint-Denis, notamment avec des adultérations aux cannabinoïdes de synthèse.

Aggravation de la précarité des personnes consommatrices marginalisées

L’ensemble des coordinations TREND signale en 2024 une dégradation continue des conditions de vie des personnes en situation de grande précarité et d’addiction. Cette précarisation résulte d’une multiplicité de facteurs : expulsions de logements, saturation des structures d’hébergement social, dématérialisation des démarches administratives, et difficultés d’accès aux soins psychiques. Le phénomène d’excentration des centres-villes se poursuit, conduisant les personnes consommatrices à investir des espaces périurbains ou non occupés (parcs boisés, parkings souterrains, friches industrielles), souvent éloignés des structures médico-sociales. Ce processus complique l’accès au matériel de réduction des risques et à l’accompagnement sanitaire et social, rendant les interventions « hors murs » d’autant plus essentielles.

Cocaïne basée : une consommation qui s’intensifie

Comme en 2023, les coordinations décrivent en 2024 une intensification des consommations de cocaïne basée qui accapare le quotidien de nombreuses personnes. Le développement des ventes fractionnées (doses à 20, 10, voire 5 euros) facilite l’accès au produit. Pour certaines personnes marginalisées, la consommation de cocaïne basée se substitue à celle d’héroïne, dont la qualité est jugée aléatoire.

Le rapport observe également une diversification des profils des personnes consommatrices de cocaïne basée s’adressant aux structures d’addictologie. De nombreux intervenants rapportent davantage de personnes socialement insérées, parfois en couple et avec des enfants. Pour nombre d’entre elles, l’usage intensif se développe consécutivement à un événement fragilisant (décès d’un proche, séparation, perte d’emploi).

Chemsex : précarisation et demandes de soins en hausse

Les investigations 2024 insistent sur la grande disparité des profils des personnes pratiquant le chemsex, avec notamment davantage de personnes exilées et de mineurs ou jeunes majeurs. Sur le plan des substances, la kétamine est plus systématiquement présente, aux côtés du GHB/GBL et des cathinones de synthèse.

Les demandes de soins liées à la pratique du chemsex sont en outre en hausse, témoignant d’une meilleure identification des structures par les personnes concernées et d’une adaptation progressive des dispositifs professionnels. L’ensemble des intervenants souligne toutefois une précarisation sociale, économique et psychique accrue des personnes accompagnées; les difficultés à réguler les consommations allant de plus en plus de pair avec l’épuisement physique et la souffrance psychique.

Opioïdes de synthèse : pas de trafic structuré

Contrairement à certains pays européens, les investigations TREND n’identifient pas d’offre structurée et pérenne d’opioïdes de synthèse (fentanyl, nitazènes) sur le territoire français. La revente de traitements par agonistes opioïdes (buprénorphine, méthadone, sulfate de morphine) par certains patients en situation de précarité économique reste observée, mais aucun trafic d’ampleur n’est rapporté. La hausse des décès liés aux opioïdes de synthèse dans certains pays du nord de l’Europe invite toutefois à la vigilance.