50 ans de réduction des risques en Europe : bilan

Alors que la réduction des risques fête un demi-siècle de développement en Europe, un article publié dans Harm Reduction Journal revient sur son évolution, ses réussites et ses limites. Loin d’un aboutissement, les auteur·e·s plaident pour une transformation en profondeur du modèle actuel, en le recentrant sur le bien-être, la participation et la reconnaissance des personnes concernées.

Née dans les années 1980 dans un contexte de crise du VIH, la réduction des risques (RDR) a été portée par les personnes consommatrices de drogues elles-mêmes, avant de s’imposer peu à peu comme réponse pragmatique face à des politiques punitives et souvent inefficaces. Comme le souligne l’article, des pays comme les Pays-Bas, la Suisse, le Royaume-Uni ou le Portugal ont joué un rôle pionnier, développant des dispositifs comme les programmes d’échange de seringues, les traitements par agonistes opioïdes ou les espaces de consommation sécurisés. Ces efforts ont été soutenus par le plaidoyer communautaire et la recherche scientifique, permettant une reconnaissance croissante à l’échelle européenne, jusqu’à l’intégration officielle de la RDR comme pilier distinct dans la stratégie drogue de l’UE 2021–2025.

Cependant, cette reconnaissance politique reste souvent superficielle et inégalement traduite dans les faits. L’article relève en effet des disparités marquées d’un pays à l’autre – et même entre régions –, un accès concentré dans les grandes villes, une médicalisation excessive, et un soutien financier de plus en plus fragile. Par ailleurs, les services restent souvent centrés sur l’usage injectable d’opiacés, tandis que les usages en milieu festif, les nouvelles substances psychoactives ou les pratiques comme le chemsex sont peu prises en compte. De plus, les discours politiques et médiatiques stigmatisants persistent, freinant la démocratisation et l’extension des services.

Au-delà de ces constats, les auteur·e·s appellent à repenser la RDR, en dépassant une approche purement centrée sur les risques et méfaits pour adopter une vision plus holistique. Cela inclut la reconnaissance des bénéfices que certaines personnes retirent de la consommation de substances, une meilleure prise en compte des déterminants sociaux de la santé, et une participation pleine et entière des usager·ères à l’élaboration des politiques et des services. Ils insistent également sur la nécessité de sortir du seul cadre sanitaire pour relier la RDR à d’autres champs, par exemple celui de la santé mentale ou de la justice sociale.

Ce bilan des cinquante années de RDR en Europe souligne la nécessité d’un tournant, d’autant plus que la stratégie drogue 2021-2025 arrive à son échéance. Il ne s’agit plus seulement de prouver l’efficacité de certaines mesures, mais de refonder les principes qui les sous-tendent pour mieux répondre aux besoins, aux droits et à la dignité des personnes concernées. Un appel à réhumaniser les politiques publiques dans un contexte marqué par les tensions sécuritaires, les inégalités croissantes et la montée des discours moralisateurs. C’est dans cet esprit qu’a été lancée la campagne européenne « La réduction des risques, ça marche ! », portée par de nombreuses organisations engagées pour une politique des drogues fondée sur la santé et les droits humains.