Dépendances

N° 52 Les états "modifiés" de consciences

Les états modifiés de conscience nous font peur. Depuis le siècle des Lumières, nous avons appris à nous en méfier comme de la peste. En effet, en instaurant la raison comme fondement d’un comportement légitime dans les sociétés occidentales, il a rejeté toute modification de la conscience dans des pratiques d’Ancien Régime dépassées, teintées d’ésotérisme, de superstition, voire même de diableries. Nos sociétés modernes, libérales et démocratiques, reposent sur l’usage de la raison en toute conscience. Modifier les paramètres de l’exercice de la raison, c’est ainsi menacer la société toute entière. La révolution morale du XIX siècle viendra renforcer encore cet aspect, en associant toutes modifications cognitives à un défaut moral, à un vice qu’il convient de juguler.
Mal aimés, mal compris, les états modifiés de conscience nous sont pourtant bien connus. En effet, nous en faisons tous les jours l’expérience durant le sommeil, devant la télévision ou simplement en regardant par la fenêtre. Par un de ces petits clins d’œil de l’histoire, cette pensée cartésienne à la source de notre défiance envers eux, nous aura finalement appris que ces états modifiés seraient plutôt la norme, tant notre conscience passe par des états différents dans le cours d’une seule journée. Capables de capter les ondes que notre cerveau émet, nous avons progressivement pris conscience du caractère subjectif et somme toute très relatif de notre usage de la raison en toute conscience, qui ne serait ainsi qu’un état parmi d’autres. Les substances psychotropes ne seraient donc pas si étrangères à notre fonctionnement habituel. Elles viennent renforcer, compléter, éviter, contourner, diminuer, altérer nos réflexions. Elles le font peut-être de manière violente, non contrôlée, dommageable ou artificielle, mais il s’agit bien d’un prolongement d’un fonctionnement humain. Notre vision de l’altérité radicale des drogues ne serait ainsi que la conséquence d’un rationalisme étroit.
Plus surprenant encore, certains états particuliers de notre conscience pourraient même être bénéfiques pour notre santé. Par exemple, l’hypnose est de plus en plus utilisée dans la médecine. La pratique de la méditation a démontré scientifiquement son utilité, grâce aux neurosciences qui ont mesuré des changements bénéfiques dans l’organisation des circuits de notre cerveau. Par ailleurs, les recherches sur l’usage thérapeutique du LSD laissent entrevoir de nouvelles perspectives. Assurément, il nous reste encore beaucoup à apprendre dans ce vaste domaine qui s’ouvre, une fois levé le tabou sur les états modifiés de conscience.
Modestement, c’est sur ce chemin que s’engage ce nouveau numéro de dépendances. Il explore quelques questions qui nous occupent aujourd’hui. Comment comprendre les effets des drogues ? Quels outils thérapeutiques, travaillant sur la conscience, pouvons-nous utiliser en addictologie ? Par ces quelques réflexions introductives, nous espérons alimenter ce débat, afin de surmonter les dogmes qui nous tiennent éloignés de l’objet même qui nous occupe.

Jean-Félix Savary, GREA

 

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